Le chef qui ne décide pas

En pleine intros­pec­tion, je regarde les déca­lages par rapport aux attentes qui m’ont été expo­sées par le passé.

Une de celle là c’est celle du rôle du chef dans les choix et déci­sions.

Je suis là pour permettre de penser et agir collec­ti­ve­ment, pas pour diri­ger des singes savants.

Crédo person­nel

Coro­laire : C’est aux sachants proches du terrain de faire les choix et prendre les déci­sions, pas au mana­ge­ment.

Mon rôle c’est de les mettre en capa­cité, de m’as­su­rer qu’on mette les bons enjeux, les bons moyens, les bons process pour arri­ver à ce qu’on ait les bonnes personnes pour prendre les bonnes déci­sions au bon moment sur les bons sujets.

Parfois, souvent, ça veut dire donner une direc­tion, mais dans l’idéal même cette direc­tion peut venir des équipes.

Dans la réalité je prends plein de déci­sions, tout le temps, avec plai­sir et sans tergi­ver­ser, mais elles sont sur mes sujets, pas ceux de mes équipes, ou le moins possible.

Je me rappelle l’in­ter­ro­ga­tion d’une équipe il y a plusieurs années à propos d’une mise à jour mineure de Post­greSQL. Fallait-il la faire ?

C’était les premiers mois de la prise de poste. L’équipe n’avait pas eu de direc­teur avant et ne savait pas trop quoi en attendre.

J’ai posé les ques­tions, savoir s’il y avait un enjeu de sécu­rité, si ça corri­geait un de nos problèmes, s’il y avait un effort ou un risque parti­cu­lier à la montée en version.
L’équipe avait les réponses, il n’y avait ni enjeu ni risque, j’ai dû répondre quelque chose proche de « comme vous voulez ».

Cette anec­dote a mis en évidence plus d’un an après le déca­lage entre ma concep­tion du rôle et celle de mon président de l’époque. Il aurait voulu quelqu’un qui « donne le ton à l’équipe », dès le début.

Ce déca­lage est reve­nue plusieurs fois dans mon histoire, en partie parce mon curseur entre la mise en capa­cité et la prise de déci­sions est parti­cu­liè­re­ment à gauche, mais pas que pour ça.

Il y a dans l’uni­vers profes­sion­nel une culture du chef qui reste assez marquée et à laquelle je n’adhère pas. En zone de stress j’ai vu la plupart des direc­tions repar­tir à la recherche d’un leader éclairé qui aligne­rait tout le monde en prenant les bonnes déci­sions inspi­rantes que les autres n’au­raient qu’à suivre.

Je n’y crois pas, pas plus en entre­prise qu’en poli­tique. Au mieux ça donne des effets concrets et rapide mais on se pren­dra très fort le mur quand le chef pren­dra une mauvaise déci­sion ou s’en ira. Et ça arri­vera.

Même avec 25 ans de bagages, je n’ai jamais la préten­tion de dire « ta gueule je sais ». Je peux me trom­per.
Je me trompe encore. Si je décide et que j’at­tends des équipes qu’ils prennent du recul sur les enjeux pour m’ar­rê­ter quand je me trompe, ne suis-je pas en train d’in­ver­ser les rôles ?

Mon objec­tif à moi c’est l’op­posé, c’est me rendre dispen­sable, faire en sorte que tout puisse tour­ner sans moi, y compris les déci­sions stra­té­giques et les sujets sensibles.

Si je fais bien mon travail, je peux arrê­ter de travailler sans que ça ne se voit. Mon but est fina­le­ment de ne servir à rien.

Consé­quence de mon posi­tion­ne­ment

En aparté : Les deux posi­tions en exergues ont — j’es­père — l’air saines mais c’est loin d’être une évidence pour tous ni facile à porter. Elles ne faci­litent entre autres pas la valo­ri­sa­tion de mes propres actions auprès de mes propres enca­drants quand eux croient encore consciem­ment ou incons­ciem­ment au grand leader charis­ma­tique qui dirige tout.

J’ai pu indi­vi­dua­li­ser trois phases dans ces cas là :

  1. Une première zone miti­gée, parce que la mise en place d’une respon­sa­bi­lité aux équipes ne se fait pas en un jour, et que ça passe par des échecs et une zone de flou quant à qui dirige.
  2. Une zone de confiance ensuite, parce que la machine commence à tour­ner et que les résul­tats sont là.
  3. Une zone de défiance voire de rupture de confiance quand il y a une période de stress ou de craintes pour de forts enjeux. Le fait de ne pas voir l’ac­tion directe du grand leader fait poser des ques­tions.

Au-delà d’éven­tuels diffi­cul­tés concrètes — j’en ai, comme tout le monde — j’ai encore beau­coup de travail sur la commu­ni­ca­tion autour de mon approche : savoir comment montrer, expli­ci­ter et rassu­rer.


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Commentaires

3 réponses à “Le chef qui ne décide pas”

  1. Avatar de Clersev
    Clersev

    Ça ressemble à ce que je fais en tant que manager. Pas autant que toi je pense, mais demander aux gens, dire que je peux me tromper et que j’attends les remarques, écouter les avis… et seulement à la fin, récapituler les échanges, prendre une décision si ça diverge vraiment, mais surtout donner l’impulsion pour que l’équipe parte dans une direction discutée ensemble.
    Pour moi c’est ça le bon management: donner l’impulsion et pas forcément la direction. L’énergie vient du groupe et des individus, pas de moi

  2. Avatar de Kentrow

    Complètement d’accord avec la vision. Le plus important c’est de partager quelle stratégie on souhaite prendre, quelles règles et valeurs on souhaite mettre en place et suivre. Les décisions concrètes des solutions techniques c’est surtout avec les équipes qu’il faut en discuter, avoir l’avis de tout le monde et avoir par contre la capacité de trancher (tout en justifiant, ça permet aussi à tout le monde de comprendre les choix).

  3. Avatar de Olivier
    Olivier

    Cette approche correspond bien a ma façon de faire. Les équipes sont souvent plus à même de trouver la meilleure solution, notre rôle se résumant à leur donner suffisamment de contexte pour prendre la bonne décision en confiance.

    J’ajouterai que j’ai aussi eu affaires à des développeurs qui, tout comme les dirigeants, n’adhéraient pas a l’approche collective et attendait eux aussi un leader « sachant » qui prenne toutes les décisions. Dans ce cas aussi, cela peut créer un décalage et des situations conflictuelles.

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