J’en avais fait un après trois mois. En voici un autre au bout de deux ans et quelques.
Le fond n’a pas beaucoup changé alors je vous incite à d’abord lire le billet précédent. On y gagne en temps de trajet, en place. On change les interactions sociales et les temps de respiration. Ça joue autant sur le professionnel que sur le personnel.
Le résumé décideur après deux ans : Oui ça fonctionne. Non ce n’est pas pour autant toujours aussi idéal que certaines lectures le laissent penser. Rien d’étonnant cependant, le monde idéal n’existe pas. Après, savoir si c’est une bonne chose pour vous, ça va dépendre de vous.
Le confort local
Essentiellement j’ai changé mon bureau l’année dernière. J’ai un bureau assis-debout, essentiel pour les trop longues visio-conférences ou pour réfléchir sans clavier. J’ai eu une vraie chaise de bureau pour remplacer ma chaise de cuisine droite en bois. J’ai aussi une enceinte de bonne qualité avec de la musique derrière moi quand j’en ai besoin pour me concentrer. J’ai aussi pu brancher une configuration à trois écrans, et on y prend goût.
Enfin, le télétravail c’est la capacité à faire une sieste de 20 minutes quand c’est nécessaire, ou de prendre 1h30 sur la pause de midi quand je ne tiens pas. À une période l’année dernière, je pense que j’aurais dû me mettre en arrêt maladie longue durée si je ne l’avais pas pu. À la place je l’ai relativement bien vécu et ça a été relativement transparent pour mon employeur. Gagnant pour les deux.
Bref, je suis encore et toujours convaincu que le télétravail doit s’accompagner de confort. C’est d’ailleurs une des motivations que j’entends fréquemment sur le télétravail : Avoir un vrai bureau et pas une place de poulailler dans l’open-space. À vous d’y donner corps, et ça peut faire toute la différence.
Les entreprises qui veulent fonctionner en télétravail feraient bien de financer du matériel de façon massive (poste informatique et écran, mais aussi bureau, chaise de travail, lampe, webcam additionnelle, tableau blanc, etc.) plutôt que chercher à économiser sur ces postes budgétaires.
Peut-être que si les entreprises présentielles travaillaient sur le confort local dans leurs bureaux, les questions de télétravail se poseraient différemment.
L’isolement
L’isolement joue très fort pour moi. Si j’avais un premier ressenti au bout de trois mois, ça prend toute son ampleur avec le temps.
Je suis très introverti dans ma vie personnelle. Je sors peu pour autre chose que de l’utilitaire, et encore moins depuis que j’ai un enfant à la maison. J’apprécie quand ça arrive mais je ne sais pas maintenir correctement les liens pour le montrer, ou m’organiser pour prendre ces initiatives. Avec le télétravail, désormais mes interactions sociales de la semaine se limitent trop souvent à quelques bonjour quand j’amène mon fils à l’école.
Ne voir que ma chambre, mon bureau, les tâches ménagères et éducatives, ma femme et mon fils, ça pèse. Beaucoup. Les trajets professionnels à Paris une fois tous les deux mois sont presque une respiration. Ils me permettent de voir les collègues mais sont aussi le prétexte à revoir les amis de là bas.
Vous pouvez dire que c’est lié à mon organisation et à ma façon de vivre (*). C’est certainement vrai mais il n’en reste pas moins que, dans ce contexte, l’isolement généré est difficile à vivre. Le fait d’avoir un bureau avec des collègues en face à face, des pauses voire des jeux ou des discussions locales au détour du bureau, ça m’apportait quelque chose que je n’ai plus.
Est-ce que le confort contrebalance l’isolement ? La réponse est loin d’être tranchée pour moi — et ne concerne que moi et ma situation particulière, vous aurez votre propre réponse en fonction de votre propre contexte.
Mon idéal serait probablement un système de télétravail partiel une semaine sur deux ou plusieurs jours par semaine, avec quelques moments de rendez-vous fixes pour tout un ensemble de collègues.
Le management
Je vois beaucoup de retours faire porter la responsabilité de la réussite ou de l’échec du télétravail sur le management. J’adhère à beaucoup de ce qui s’y dit sur la confiance, l’autonomie et la responsabilisation mais je trouve la conclusion un peu facile, et ne reflétant que rarement une expérience de manager.
Le télétravail me demande de repenser mon rôle, la façon dont je le mène. Factuellement, mon boulot en tant que manager change beaucoup, mais s’il change ce n’est pas sur les questions d’autonomie et de responsabilisation (qui sont dans mes organisations cibles qu’il y ait télétravail ou pas).
Si ça change c’est qu’il est bien plus difficile de sentir des signaux quand quelqu’un commence à ne plus être à l’aise. Il est de même difficile de se rendre compte que telle ou telle remarque (de moi ou d’un autre) a été mal reçue et qu’il me faut intervenir. Il est tout autant difficile de voir si tel ou tel changement est positif ou négatif tant qu’il n’y a pas de forte douleur.
Non seulement on ne voit que le formel, l’écrit et le résultat, mais en plus on agit par ces mêmes canaux. La petite discussion à la machine à café ne prend pas forme aussi facilement : C’est soit de l’écrit soit de la visio. Les rendez-vous 1–1 sont d’autant plus essentiels avec le télétravail.
Je parle de ma position de manager mais ça fonctionne dans les deux sens : Vu que je conçois mon rôle de manager comme au service des autres, si c’est plus difficile pour moi alors ça a aussi des impacts négatifs sur l’aide que je peux apporter, et donc sur les tiers non-managers. J’imagine plus facile de perdre quelqu’un et de s’en rendre compte trop tard, et plus difficile de résoudre un désalignement (*).
Quand tout va bien c’est parfait et le télétravail ne génère aucune problématique significative. Quand quelque chose n’est pas idéal, le télétravail à temps plein complexifie l’humain, des deux côtés, et peut démultiplier les problèmes ou les difficultés (*).
Organisation d’entreprise
Je ne l’ai pas abordé mais je n’ai d’expérience que pour des équipes techniques de bon niveau et impliquées. Tel que je le vois, le télétravail n’est adapté que pour des gens dirigés à la tâche d’exécution sans aucune latitude ni aucun aléas (on peut donc simplement mesurer l’avancement) soit des gens en totale responsabilité et autonomie (individuellement ou collectivement).
Quand je parle de responsabilité et d’autonomie je le prends avec un sens très étendu. Côté organisation, l’essentiel des problèmes ressentis viennent de situations où les opérationnels n’étaient (ou ne se sentaient) pas libres de prendre les décisions qu’ils pensaient pertinentes, ou qu’ils devaient justifier leur travail après-coup (le temps passé, les décisions prises, les aléas, la qualité obtenue).
La position intermédiaire, à la fois donner des responsabilités et de la liberté mais pas toute l’autonomie pour faire les choix ou les comprendre, est une source de frustration permanente. C’est déjà vrai sur une organisation locale (ne faites pas ça) mais ça s’y rattrape en partie par la proximité. En télétravail les problèmes induits m’y semblent démultipliés (*).
Le quotidien
Ce n’est pas un vrai problème mais c’est quand même une surprise pour moi alors je le signale : Même dans une entreprise totalement en télétravail depuis sa naissance il y a une demie-douzaine d’année, on perd encore du temps significatif avec les problèmes de son et de vidéo, on oublie parfois de faire de l’écrit, etc.
De même, si on est plus au calme, il est plus fréquent que au moins un des intervenants ait des travaux chez lui, ses voisins ou dans la rue, une connexion qui tombe, un wifi taquin, un matériel en panne sans pièce de rechange, un démarcheur qui sonne à la porte, un espace de coworking trop bruyant et aucune cabine d’isolement de disponible, etc.
Bref, les petits soucis du quotidien sont tout autant là en télétravail.
Enfin, certains aiment bien l’asynchrone et l’écrit (moi le premier), mais je n’ai pas trouvé de solution efficace pour remplacer les discussions autour d’un tableau blanc. Il existe des logiciels pour ça, mais sauf à payer à chacun une tablette avec stylet, ça ne sera jamais la même chose. Les réunions d’architecture sont clairement un point où on perd très nettement en efficacité.
Encore une fois : Ça fonctionne mais rien n’est magique. Certains vous diront que c’est toujours mieux qu’une entreprise qui n’a pas assez de salle de réunion. Savoir si c’est mieux qu’une entreprise qui a des espaces adéquats, ça va être un choix plus personnel.
(*) Oui, moi aussi j’aimerais une situation idéale, où tout est parfait, où tout le monde est aligné, où la culture est parfaitement partagée, où les désaccords sont déminés, où il y a bienveillance et collaboration à chaque instant de la vie, où moi-même j’ai une hygiène de vie parfaite, pas de problème de santé ni de freins sociaux.
Les retours qui disent que le télétravail ne pose aucun problème tant que le contexte est idéal et que sinon c’est la faute des problèmes autour, j’ai l’impression d’y lire un « quand ça ne fonctionne pas c’est la faute des autres ».
En pratique tout n’est pas toujours parfait. Parfois c’est la faute de l’organisation, parfois de la culture, parfois d’un contexte non maitrisé ou d’une personne particulière. Parfois on y peut quelque chose, parfois nos leviers d’action sont plus restreints ou plus long terme. Peu importe. Ça arrive et ça doit être pris en compte. Une organisation qui ne fonctionnerait que dans un contexte idéal est une mauvaise organisation.
Du coup oui, je me permets de signaler ce qui est plus difficile même si le problème n’existerait pas dans une situation totalement idéale par ailleurs. J’ai tendance à dire qu’en tant que manager c’est même mon boulot de penser à ça et d’y travailler.
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