Il se nomme d’après une légende de l’Inde colonialiste. Estimant qu’il y avait trop de cobras dans la ville de Delhi, les autorités décidèrent de mettre en place une récompense pour chaque tête de cobra rapportée. La mesure eu un franc succès, jusqu’à ce que l’administration découvre des fermes de cobras, elle arrêta alors le programme de récompenses et les éleveurs relâchèrent leur animaux, augmentant le nombre de cobras initialement présents dans la ville.
Visiblement tout le monde ne connait pas encore l’effet cobra.
Ce matin j’entends une politique de la majorité parler d’incitation à performance par des primes dans les administrations de santé, et plus particulièrement en EHPAD. En quelques minutes elle dit que l’important n’est pas de faire des actes mais d’aider les gens, et envisage trois exemples d’indicateurs :
- La baisse du nombre d’actes
- Permettre aux gens de rentrer chez eux plus tôt (baisse de durée des séjours)
- Limiter le nombre de fois où on fait revenir les gens (baisse des réadmissions)
Sérieusement, même avec des agents dont l’objectif principal sera la qualité des soins, n’y a-t-il personne pour identifier d’aussi mauvais indicateurs ? pour voir que ça va déraper, voire être dangereux ?
Nous allons mettre des gens, souvent mal payés vis à vis de leur implication, en position de se dire « ça me semble utile mais si je fais cet acte de soin je risque de faire une croix sur ma prime ». Vu qu’on parle de primes d’équipes, on peut même avoir la pression malsaine des collègues « tu aurais du refuser la réadmission de cette personne, tu ne peux pas mettre en difficulté financières tes collègues comme ça en cette période », qu’elle soit explicite, implicite ou même auto-suggérée.
Le pire étant la prise de risque du « normalement ça devrait bien se passer, si je la renvoie chez elle dès maintenant, on évite d’amputer le salaire de ce mois ».
Vous n’y croyez pas ?
C’est déjà le cas. Dans le contexte actuel de rareté médicale, certains médecins annoncent déjà qu’ils refusent les nouveaux patients mal adhérents aux recommandations de la sécu… qui menaceraient leur ROSP. — Philippe Ameline (@p_ameline) 5 février 2018
Nos soignants sont dédiés à la cause. J’ai bon espoir que le personnel résiste au mieux à cette pression, quitte à devoir faire une croix sur leur rétribution financière et à se prendre encore des critiques sur leur gestion. Dans le meilleur des cas nous aurons un superbe exemple du mécanisme de double contrainte contradictoire, générant un mal-être supplémentaire gigantesque, de l’épuisement ou des burn out.
Notre politique se plaignait qu’on parle de prime à la performance dans le service public depuis longtemps sans pour autant l’avoir fait. Oui, ceci peut expliquer cela : C’est difficile de trouver de bons indicateurs sans effet pervers. Très difficile, surtout quand la relation de confiance est déjà rompue avec l’autorité de contrôle.
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Oui, la gestion financière est importante. Inciter à éviter les gâchis est une bonne chose. Mais si on commence à donner des primes sur ce critère, il risque de primer sur l’objet même du service donné. C’est du management de base ça. Comment ceux qui veulent faire fonctionner le service public comme une entreprise peuvent-ils l’oublier ?
Quand on base le service public – non rentable par nature – sur des indicateurs de performance financiers, c’est évident que ça va mal se passer quelque part. Quand on veut gérer des services publics avec des recettes idéologiques éculées, ça ne se passe pas mieux.
Au-delà, le principe même des primes sur objectif est contre-productif à la base, mais là aussi il faut avoir un peu lu pour éviter les préjugés basés sur l’intuition. Je vous recommande au minimum la courte vidéo de cet ancien billet.
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