J’adore cette histoire parce qu’elle démontre merveilleusement qu’on peut voir tout et son contraire suivant le niveau d’information dont on dispose.
Il faut dire que la statue est superbe.
Elle s’appelle « Fille sans peur » et est sous-titrée d’une plaque qui dit « Know the power of women in leadership. SHE makes a difference. »
Clairement, quand un artiste ajoute une statue d’un petit chien en train d’uriner dessus, on y voit facilement un problème de sexisme. C’est encore plus vrai quand on sait qu’elle est placée devant une statue de taureau en charge, facilement symbole de force et de masculin.
Anti-féminisme.
C’est le premier niveau de lecture.
Ajoutez que l’auteur du chien qui urine est aussi celui du taureau initial. La fillette y fait face. On y voit donc plutôt une vengeance ou une jalousie, et peut-être plutôt une histoire d’égo qu’une histoire de sexisme, même si l’un n’empêche pas l’autre.
Bataille d’égo.
Deuxième niveau de lecture.
Le taureau est une statue pirate. Elle été retirée avant d’être autorisée par la mairie devant la pression populaire, d’abord temporairement avant de devenir un vrai symbole de la ville.
La fillette vient d’un concours privé très officiel… porté justement par les multinationales à l’origine du retrait initial du taureau.
On entre là réellement dans l’opposition de deux mondes, dans la guérilla urbaine. D’un coup on entre dans l’acte politique plutôt que dans les réactions personnelles négatives.
Guérilla urbaine et acte politique.
Troisième niveau de lecture
En réalité le taureau a été mis en place suite à un crash boursier. Il représente la force du peuple face au financier, et a été positionnée dans le quartier des finances pour cela. C’est d’ailleurs le New York Stock Exchange qui l’a fait retirer à l’époque.
La statue de la fillette a été commandée… par une corporation dans le cadre d’une opération de communication autour de l’anniversaire d’un index boursier.
D’un coup la provocation a changé de camp et le chien qui urine ressemble plus à un acte de résistance, voire de sauvegarde de l’esprit initial.
Le peuple contre les marchés financiers.
Quatrième niveau de lecture
Vous vous souvenez du « Know the power of women in leadership. SHE makes a différence » ? Le « SHE » en majuscules n’est pas anodin. C’est le trigramme qui représente l’index boursier en question dans les cotations NASDAQ.
La statue de départ qui représente la force du peuple américain est un pied de nez au milieu boursier suite à un crash des marchés. Désormais la fillette c’est la bourse qui se met avec une attitude de défi face au peuple américain.
Là ça frise l’insulte face à un symbole de la ville. Le chien est presque potache à côté.
Détournement de l’œuvre commune au profit des milieux boursiers.
Cinquième niveau de lecture
L’index boursier est lié à la diversité des genres. Le fait qu’on peut y lire un soutien du féminisme ou la prise de contrôle d’un index boursier est certainement voulu. L’entreprise publicitaire joue avec les codes, c’est son business. C’est l’objet même de la statue de la fillette.
Les plus mauvaises langues pourront même dire qu’il y a volonté de mélanger les deux dans la statue pour que la bourse prenne sa revanche en se drapant de blanc. On peut même penser que ça constitue une insulte encore plus grande à ce dernier niveau de lecture.
On peut inversement dire qu’un index boursier qui défend la diversité des genres est un symbole doublement féministe et que c’est ça qu’on attaque, que la reprise des anciens symboles masculins fait partie du combat, ou qu’un sujet non lié au féminisme aurait peut être été attaqué autrement.
Tout ça n’est pas dissociable, et c’est bien pour ça que c’est complexe. Choisissez votre camp. Ou pas. Les deux versions ne sont d’ailleurs pas exclusives les unes des autres.
Ce que je trouve intéressant c’est comment la plupart des gens réagissent suite à un seul niveau d’information, comme si la question était simple et méritait une indignation sans nuances. J’ai peur qu’il en soit autrement.
(discours honteusement inspiré de l’analyse de gregfallis.com)
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