On ne peut pas à la fois critiquer la loi sur le droit d’auteur dans le fait qu’elle est inadaptée au monde numérique, et en même temps tirer à boulets rouges sur la première initiative visant à essayer de trouver des solutions […] Le dispositif proposé présente au moins l’avantage d’offrir une seconde vie à des ouvrages qui n’en auraient jamais eu.
Le cas des indisponibles du XXème siècle est un vrai problème. Sans rien toucher à l’équilibre du droit d’auteur et en se basant uniquement sur de l’opt-in, il est peu probable qu’on puisse arriver à un résultat significatif. L’alternative idéale aurait été une réforme profonde du droit d’auteur mais, considérant la probabilité quasi-nulle d’y arriver, je ne peux pas totalement nier la pertinence d’un compromis exceptionnel et forcément bancal.
D’un autre côté, peut-on accepter une initiative par le seul fait qu’elle cherche à faire un compromis ? Le projet ReLIRE est à mon avis personnel trop déséquilibré en faveur des éditeurs. L’auteur y est à peine considéré.
Il aurait pourtant été aisé de modérer un peu toute cette histoire. Quelques propositions très simples :
1. Prévenir activement l’auteur
Il est juste incompréhensible que l’éditeur soit prévenu par recommandé mais que rien n’oblige ou même n’incite à tenter de prévenir l’auteur ou ses ayants droits. Pourtant il s’agit normalement de lui reverser des droits lors de l’exploitation, c’est bien qu’on pense arriver à le joindre. C’est à se demander si le tenir à l’écart n’est pas volontaire pour éviter qu’il n’exprime un choix conscient.
Il apparaît indispensable de faire porter sur l’éditeur d’origine une obligation de mettre en œuvre les démarches raisonnables pour contacter l’auteur ou ses ayants droits : par recommandé, lui signaler l’inscription à la base ReLIRE, les implications, ainsi que la possibilité et les moyens de s’opposer à l’exploitation numérique.
- L’auteur est injoignable : L’œuvre est une œuvre orpheline, avec les spécificités prévues en ce cas (ça mériterait un billet complet, considérons entre temps que nous ne changeons rien à ce que le projet prévoir ici)
- L’auteur ne répond pas : L’œuvre peut suivre le parcours des indisponibles envisagé jusque là.
- L’auteur réfuse la gestion collective : L’œuvre sort du système prévu pour les indisponibles. Elle pourra, si l’auteur le souhaite, être exploitée suivant des conditions contractuelles standard acceptées par lui.
Certains éditeurs n’existent plus, nombre d’auteurs n’ont plus de coordonnées à jour ou ne répondront pas, mais le coût de gestion est assez faible pour que cette étape soit jugée indispensable. Cette étape sera de toutes façons nécessaire le jour où on cherchera à leur verser leurs droits d’auteur, donc il s’agit juste de l’anticiper.
2. Faciliter l’opposition de l’auteur
La réelle porte pour exprimer son choix se fait ensuite. Passer d’un opt-in à un opt-out est déjà un compromis gigantesque avec le droit d’auteur tel qu’on le conçoit actuellement. Puisque les échecs à la première étape prévue plus haut seront nombreux, il faut donner des possibilités réelles d’accéder à cet opt-out.
Actuellement il existe une fenêtre de 6 mois. Si l’auteur n’est pas informé au début de cette période, on voit mal comment quelques mois seraient suffisant pour prendre conscience de son inscription et y réagir.
Le minimum m’apparait que l’auteur puisse se positionner par avance, et sans attendre qu’un tiers déclenche sans l’avertir l’inscription dans la base ReLIRE. Une simple notification suffit et doit avoir pour effet d’empêcher l’inscription par la suite dans la base, ou d’y associer automatiquement un refus.
Le second point est de pouvoir exprimer un refus à tout moment, même après le début d’exploitation. Ce refus peut intégrer un préavis pour permettre à l’éditeur de ne pas avoir investit à perte : On peut imaginer un ou deux ans, mais pas les durées actuelles qui peuvent aller jusqu’à dix ans.
Dans tous les cas, l’auteur ou ses ayants droits doivent pouvoir s’opposer à tout moment à des transpositions numériques de mauvaise qualité, non intégrales, non fidèles, ou plus largement non homothétiques. Si tout se fait sans l’autorisation de l’auteur, il serait difficile d’accepter des travaux d’enrichissement ou d’extension de l’œuvre.
3. Pas de renversement de la charge de preuve
Telle quelle, la loi demande à l’auteur qui s’oppose de prouver qu’il n’a pas cédé les droits numériques à l’éditeur ou à des tiers. Comme toute preuve négative, c’est malheureusement quasiment impossible à faire.
C’est de plus totalement aberrant vis à vis de la réalité du droit d’auteur et de ces œuvres. On parle en effet d’œuvres non exploités, donc quasiment toutes épuisées dont l’auteur peut récupérer ses droits sur simple demande, et publiées à des dates où il est extrêmement peu probable une cession de droits numériques.
Sur toutes ces notifications, l’auteur ne doit avoir à faire qu’une simple notification sur l’honneur. Charge à celui qui réclame avoir obtenu des droits de prouver l’opposé, et dans ce sens ce sera bien plus facile à faire.
4. Retirer la priorité de l’éditeur papier
Une priorité et un droit d’exclusivité ont été donné à l’éditeur papier d’origine, probablement pour récompenser le travail de découverte ou promotion fait sur la version physique. C’est toutefois non seulement illégitime mais dangereux.
C’est illégitime parce que les investissements et péréquations ont été faites à l’époque sur une rentabilité avec la version papier seulement. Les gains futurs liés au numérique ne sont qu’un bonus qui n’apporte aucune valeur ajoutée ni à l’œuvre ni à l’auteur. C’est aussi illégitime car si l’éditeur croit en l’œuvre, alors elle serait toujours exploitée et donc non concernée par la base ReLIRE.
C’est surtout dangereux : L’éditeur papier a intérêt à inscrire l’œuvre sur la base ReLIRE dans le dos de l’auteur plutôt que le contacter et travailler avec lui. Pire, c’est à se demander s’il n’est pas possible pour l’éditeur d’interrompre temporairement l’exploitation papier le temps de faire l’inscription dans la base et gagner l’exclusivité numérique.
Si le compromis de l’opt-out est un pas énorme dans le droit d’auteur, ici c’est une réelle transformation du droit d’auteur en droit de l’éditeur.
Il n’y a pas lieu de donner une exclusivité ou une surprime à l’éditeur qui a choisit d’arrêter l’exploitation et qui a échoué dans la négociation avec l’auteur, ou probablement qui l’a évitée. C’est encore plus vrai si la numérisation est faite sur fonds publics, comme ça se dessine aujourd’hui.
On pourrait même penser que l’éditeur papier d’origine devrait être spécifiquement écarté justement à cause de ce qui précède. Je n’irai pas jusque là, mais au moins on peut ne lui donner aucun droit particulier par rapport aux autres.
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