J’ai l’impression d’être Sheldon Cooper.
Je lis des gens qui disent pleurer, qui disent ne pas pouvoir se remettre au travail, qui disent avoir mal au coeur. Certains ne sont là que dans l’escalade à la démonstration émotionnelle, surtout parmi les personnes publiques. D’autres plus proches émettent tout de même des émotions très fortes, personnelles.
Je suis Sheldon parce que je ne sais pas partager cette émotion. Je la comprends mais je la trouve trop peu rationnelle.
Onze morts c’est grave. Pour leur famille, pour leurs collègues restés vivants. Je compatis pour tous ceux là. Mais en même temps des morts nous en avons tous les jours, et leurs familles ou leurs amis n’ont pas une détresse moindre que ceux qui feront les journaux demain.
C’est aussi un symbole pour la liberté d’expression, mais je ne peux m’empêcher de penser aux SDF morts en France cette année, aux 1 500 morts civils palestiniens suite à l’offensive israélienne dans les 6 derniers mois selon l’ONU, à tous ceux qui sont encore vivants là bas mais qui vivent à la limite de la survie du fait de l’occupation, à tous ces travailleurs que nous exploitons en Asie du sud-est et qui meurent de leurs conditions de travail, aux 5 000 soldats et centaines de milliers de civils morts en Irak pour une guerre déclenchée en toute impunité par un mensonge de nos représentants politiques, à la mort de 3 000 000 d’enfants de moins de 5 ans chaque année – excusez du peu – à cause de la malnutrition.
Pourquoi j’écris tout ça ? Parce que toutes nos lois liberticides n’empêcheront jamais deux personnes isolées d’aller déclencher une fusillade avec dix morts à la clef. Alors que donner un abri aux SDF, arrêter la guerre Israélo-palestinienne, stopper l’exploitation industrielle, arrêter la faim dans le monde, ne pas déclencher de guerre par intérêt… tout ça c’est collectivement à notre portée. Pour peu que nous soyons tous prêts à nous y engager, c’est presque simple.
Vraiment. On risque de dépenser bien plus suite à l’augmentation du niveau d’alerte Vigipirate, que ce qui est nécessaire pour sortir de la merde nos sans abris. Question de priorités.
Alors réagir au nom du symbole de ces 11 morts vis à vis d’une liberté d’expression que nous avons toujours, ça me semble d’un cynisme dépressif venant de privilégiés dans leur fauteuil. C’est grave pour notre société, c’est dramatique pour les proches, mais ça s’arrête là pour moi.
Mon discours est peut être politiquement incorrect et mal placé, mais les priorités de notre société me font bien plus honte que ces quelques lignes. Seul ce qui touche notre classe sociale élevée occidentale mérite tout ça. La faim, le froid, la maladie, la guerre, l’esclavage par le travail, on laisse faire.
Je me sens comme Sheldon, incapable d’être dans l’émotion du moment, totalement décalé. Traitez moi de monstre insensible, mais croyez-moi : Je ne le reproche à personne. J’ai essayé d’être comme vous. Je n’y arrive simplement pas.
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