Pourquoi une grille de salaire ?

« On n’est pas chez les fonc­tion­naires !  » (*)

Ceci est la mise à l’écrit d’une inter­ven­tion aux confé­rences MiXiT fin avril 2024. Elle ne remplace pas l’en­re­gis­tre­ment vidéo mais me permet de mettre quelques points plus en détail et en profi­ter pour placer quelques liens.

Forcé­ment, parce que ça revient à faire un discours à l’écrit, c’est un peu long et pas très synthé­tique (ceci est une honteuse litote, prépa­rez-vous). Je trouve ça aussi bien fina­le­ment : c’est une histoire à lire, pas une recette à suivre.

Préa­lable sur le sous-titre

J’avais fait passer des sondages en ligne en prépa­ra­tion de mon inter­ven­tion. Seul un tiers d’entre vous préfé­re­rait être soumis une grille de salaire. La moitié a répondu « ça dépend », montrant une certaine défiance.

L’exemple de la fonc­tion publique est revenu plusieurs fois, présenté comme un repous­soir. J’ai repris cette réac­tion dans mon sous-titre, au risque de propa­ger un poncif sur les fonc­tion­naires.

(*) Ce sous-titre est une erreur et je la regrette.

La première réalité c’est que la fonc­tion publique a ses propres contraintes et moti­va­tions, et la grille de salaire est proba­ble­ment le bon outil pour ce contexte.

La seconde réalité c’est que la plupart des entre­prises privées ont proba­ble­ment beau­coup plus à apprendre de ce qui a été créé dans le public qu’à se moquer.

D’où je parle

Je m’ap­pelle Éric. J’ai traversé beau­coup d’en­tre­prises avec des pratiques très diffé­rentes les unes des autres. Il y avait souvent des systèmes en place, qui ont parfois fini par être adap­tés unique­ment à la marge.

Je n’ai pas toujours eu des grilles de salaire. Dans une première partie de carrière j’ai vécu des ESN et cabi­nets de conseil avec des salaires très arbi­traires, et un géant de la tech qui fonc­tion­nait à base d’en­ve­loppes annuelles. Pour l’anec­dote, j’ai même eu une remon­trance offi­cielle parce que j’avais osé parler salaire avec mes collègues.

Dans une seconde partie de carrière (oui, il faut être vieux pour dire ça), j’ai plutôt eu des grilles de salaire, ou de la trans­pa­rence à défaut d’une grille.

J’ai inté­­gré une scale-up lyon­­naise en tant que VP Engi­­nee­­ring avec une grosse ving­­taine d’in­­gé­­nieurs en 2021. Suite à une forte crois­sance récente, ils sont aujourd’­­hui 50 à 60 dans l’équipe pour 280 personnes dans l’en­tre­prise. 

Le système de grille histo­­rique avait ses avan­tages mais on a fini par le chan­­ger. C’est ce chan­ge­ment sur lequel je base mon retour d’ex­pé­rience.

J’avais initia­le­ment prévu une présen­ta­tion docte avec mes conclu­sions mais la réalité c’est que c’est trop complexe. Il n’y a pas de solu­tion unique. Je ne décris que celle qu’on a cru adap­tée à notre situa­tion, à ce moment-là.

J’ai tout réécrit le week-end précé­dent sous forme de retour d’ex­pé­rience avec quelques pensées person­nelles. Ça donne un récit, à la première personne, et ça me convient beau­coup plus. J’es­père créer des échanges plutôt qu’une recette à suivre.

En paral­lèle de mon rôle de VP Engi­nee­ring, j’ac­com­pagne quelques direc­teurs tech­niques pour les aider dans leur rôle, dans leurs enjeux et dans leur propre évolu­tion (dites-moi si ça vous inté­resse).

Situa­tion histo­rique

35 k€ + 2,5 k€ par année d’ex­pé­rience

(Les chiffres datent d’avant la période d’in­fla­tion)

Cette grille dit « je te fais confiance » plutôt que juger chacun indi­vi­duel­le­ment. Ma première réac­tion a été que si ça fonc­tionne c’est vrai­ment un système parfait, à garder le plus long­temps possible.

Bien évidem­ment, ça commence à coin­cer

Cette grille se base sur une progres­sion de valeur constante tout au long de la carrière. C’est certai­ne­ment vrai sur les premières années mais sur 40 ou même 20 ? C’est moins évident.

Je ne pense pas perti­nent de payer un déve­lop­peur 135 000 €. Pas que ce soit impos­sible, mais pas juste parce qu’il justi­fie de 40 années d’ex­pé­rience. Même 85 000 € à 20 ans de carrière, je suis prêt à l’ima­gi­ner mais pas unique­ment à l’an­cien­neté.

La première étape ça a été d’ins­tau­rer un plafond. On ne paiera pas plus que l’équi­valent de 17 ans d’ex­pé­rience au recru­te­ment, même si le candi­dat peut justi­fier de plus. Il conti­nuera toute­fois de progres­ser à partir de là une fois recruté.

Ça fonc­tionne pour une boite récente qui recrute prin­ci­pa­le­ment des jeunes, mais ça ne tien­dra pas 10 ans.

Si ça vous corres­pond, arrê­tez-vous là ;-)

Dans les débuts, les effets de la simpli­cité et de la confiance priment beau­coup sur l’op­ti­mi­sa­tion et la prise en compte des cas parti­cu­liers. Ce système, plafonné, reste un très bon compro­mis.

Pour nous, même avec ça, ça ne tient plus

Le vrai défaut c’est cette progres­sion linéaire.

Avec l’équipe qui gran­dit on a trop de cas parti­cu­liers, trop de diffé­rences. Ceux qui s’in­ves­tissent forte­ment commencent à se sentir floués. Ceux qui démontrent des quali­tés parti­cu­lières ou une progres­sion rapide ont l’im­pres­sion de devoir partir ailleurs pour qu’on recon­naisse leur valeur et qu’on les accom­pagne.

Le problème c’est que ce sont ces personnes qu’on souhaite parti­cu­liè­re­ment mettre en avant. La grille ne le permet pas et ce sont eux qui sont les plus insa­tis­faits.

À côté de ça, les montants n’ont pas été rééva­lués avec la période d’in­fla­tion donc la frus­tra­tion touche de toute façon tout le monde. C’est le moment de chan­ger.

Trans­pa­rence

La trans­pa­rence c’est une valeur fonda­men­dale chez moi, comme base de la confiance mais aussi parce qu’elle me permet de dialo­guer avec un monde exté­rieur qui m’est autre­ment un peu trop hermé­tique.

C’est aussi une des trois valeurs cœur pour l’en­tre­prise. Je ne parle pas de celles qu’on affiche en 4 par 3 dans le hall dans une visée marke­ting. Je parle de celles qu’on cherche à réel­le­ment mettre en appli­ca­tion à chaque niveau du collec­tif, jusqu’à faire un résumé à tous les sala­riés de ce qui s’est dit à la réunion avec les action­naires.

J’ai vécu une entre­prise avec une grille mais pas de trans­pa­rence. Chaque niveau avait une four­chette de salaire bien déter­miné mais non commu­niqué aux sala­riés. Ça crée des bruits de couloir, des fantasmes et des senti­ments d’injus­tice inutiles.

La trans­pa­rence ça évite les tripa­touillages et les manœuvres cachées, qu’ils soient réels ou suppo­sés.

J’ai aussi vécu le contraire, la trans­pa­rence sans grille. Petite star­tup, les salaires de chacun étaient listés sur une des premières diapo­si­tives à chaque réunion d’équipe deux fois par trimestre. Pas certain que ce soit la voie à suivre mais au moins c’était trans­pa­rent.

Pour l’anec­dote, on m’a dit qu’ils avaient réflé­chi à une trans­pa­rence totale sur les salaires dans un cabi­net de conseil dans lequel j’ai briè­ve­ment travaillé, et que les avocats y ont mis un veto parce que ce sont des données privées.

Je ne sais pas qui a raison ou pas mais je ne suis pas certain que ce soit la solu­tion de toute façon. La trans­pa­rence est un prérequis mais ce n’est pas suffi­sant.

Le seul red flag 🚩

La trans­pa­rence n’em­pêche pas le « on s’adapte au besoin ».

Ça paraît une posi­tion raison­nable, prag­ma­tique, mais c’est le seul red flag de tout mon récit.

S’adap­ter au besoin c’est de la gestion de marché. Ça veut dire payer plus celui qui négo­cie, parce qu’on a besoin de le recru­ter. Ça veut dire payer plus celui qui est, par chance, sur un projet visible. Ça veut dire poten­tiel­le­ment payer diffé­rem­ment les anciens et les nouveaux parce que le contexte lors de la défi­ni­tion de leur rému­né­ra­tion n’était pas le même.

L’adap­ta­tion au besoin c’est juste l’ac­cep­ta­tion de l’ar­bi­traire qui se cache derrière de beaux atours.

Impos­sible d’avoir une cohé­rence ou un semblant de justice sociale si on ne disci­pline pas le besoin et si on ne fait que s’adap­ter à celui-ci.
(non, cette dernière phrase n’est pas un message poli­tique, quoique…)

Une grille peut s’adap­ter au besoin. On peut y inclure les critères néces­saires. On peut même y faire des excep­tions.

La diffé­rence c’est que ces excep­tions seront visibles. Ça force à en discu­ter, et à justi­fier ces excep­tions. Il y aura une forte pres­sion à les réduire le plus possible, faute de quoi ça revient à faire tomber la grille.

Pas de négo­cia­tion

L’ab­sence d’adap­ta­tion au besoin fonc­tionne dans les deux sens. Si la grille est un terrain de combat on n’en fera jamais un outil posi­tif. L’exis­tence d’une grille veut géné­ra­le­ment dire l’ab­sence de négo­cia­tion.

Je fuis l’idée de la négo­cia­tion. On ne négo­cie pas avec le candi­dat. Il y a une offre, discu­tée, sur laquelle on s’ac­corde éven­tuel­le­ment.

Je ne veux pas de prime à celui qui négo­cie ou qui sait négo­cier. Ce n’est pas une compé­tence perti­nente dans mes équipes tech­niques.

Je ne veux pas de malus aux intro­ver­tis et aux anxieux. Ce n’est pas le bon critère pour évaluer l’im­pact futur du candi­dat, surtout dans les équipes tech­niques où ces deux caté­go­ries sont sur-repré­sen­tées.

Je ne veux pas non plus payer moins ceux qui sont habi­tuel­le­ment discri­mi­nés et qui auront tendance à moins deman­der à la base, par précau­tion, parce que c’est « le marché » pour les personnes discri­mi­nées.

Bref, je ne veux pas de négo­cia­tion, ni côté employeur (certains ont pour habi­tude d’es­sayer de tordre le bras autant qu’ils le peuvent), ni côté candi­dat (certains savent faire et en ont les moyens, d’autres pas).

Peut-être que tout ceci est diffé­rent si vous recru­tez des commer­ciaux ou des négo­cia­teurs mais je n’en suis même pas certain.

Égalité

Quand on parle égalité, il y a une tendance à entendre « tous pareils ». Ma pensée est plutôt « même poste et même impact = même rému­né­ra­tion ».

Le premier pas de l’éga­lité c’est la limi­ta­tion des biais et discri­mi­na­tions. La grille est un outil qui aide bien pour ça. Elle réduit les zones de subjec­ti­vité aux para­mètres prévus et elle force à moti­ver les choix de ces para­mètres.

Atten­tion : Ce n’est évidem­ment pas parfait pour autant. On ne fait que limi­ter les biais, et à condi­tion d’avoir tous la volonté d’agir en ce sens. Si les para­mètres intro­duisent ou permettent eux-mêmes des biais, la grille peut même être un outil qui va permettre de faire taire les perdants en affir­mant une fausse objec­ti­vité.

L’avan­tage de la grille est de pouvoir mettre en lumière les para­mètres de rému­né­ra­tion, les discu­ter, et d’im­po­ser à moti­ver les diffé­rences.

Chaque inéga­lité est une petite bombe à retar­de­ment.
C’est du temps perdu à argu­men­ter, de la démo­ti­va­tion, ou au mieux du mécon­ten­te­ment latent qui va resur­gir à chaque période diffi­cile.

Est-ce qu’on doit mieux payer les Pari­siens que les Nancéiens ?
Est-ce qu’on doit mieux payer certains métiers ?
Est-ce qu’on doit mieux payer les mana­gers ?

Je n’ai pas de réponse à ces ques­tions, ou plutôt j’en ai mais elles sont person­nelles, pas univer­selles. L’im­por­tant c’est de permettre ces débats et de ne pas cacher les choix pris.

Simpli­cité

Je suis ingé­nieur.
J’aime bien les solu­tions complexes à des problèmes simples.

Là j’ai un problème complexe, autant dire que je suis capable de faire des solu­tions très complexes.

Dans mes recherches j’ai vu des formules gigan­tesques pour prendre en compte l’im­pact, l’ex­pé­rience, le rôle, la situa­tion de famille, le lieu de rési­dence, l’ex­per­tise et d’autres extras.

La formule en exemple existe réel­le­ment. J’ima­gine que ça fonc­tionne très bien pour eux mais des échanges m’ont fait reve­nir à quelque chose de simple très tôt dans le process et tant mieux.

La grille doit rester mani­pu­lable et inspi­rante, quitte à être impar­faite.

Un bête tableau sur un ou deux critères est proba­ble­ment le plus simple. Choi­sis­sez vos critères, gardez ceux-là et renon­cez aux autres, même s’ils résolvent des cas inté­res­sants.

Refu­ser des candi­dats

J’ai parlé d’éga­lité, d’ab­sence de négo­cia­tion, et d’une grille simple donc qui ne peut pas prendre chaque situa­tion parti­cu­lière en compte.

Il n’y a pas de secret, ça veut dire qu’on rencon­trera des candi­dats qui ne voudront ou pour­ront pas s’ali­gner sur notre grille, et on est prêt à les refu­ser. Parfois ça sera des personnes qu’on voudrait recru­ter, et on les refu­sera quand même.

C’est le jeu et c’est impor­tant. On peut défi­nir quelques jokers mais mieux vaut partir d’em­blée avec l’idée qu’on n’a rien sans rien et que oui, on va perdre des bons candi­dats. C’est assumé et ce n’est pas grave. Sur le long terme c’est clai­re­ment gagnant.

Chemin de carrière

Chacun a besoin de se proje­ter dans l’ave­nir et une grille fixe n’y répond pas vrai­ment, même si c’est contre-intui­tif.

On sait combien on va gagner mais ça ne dit rien de la progres­sion. Si rien ne vient sanc­tion­ner cette progres­sion, c’est facile de se dire qu’on ne progresse pas, que personne ne va nous faire progres­ser, ou qu’on ne valo­rise pas la progres­sion.

Je crois que c’était le problème majeur de dyna­mique RH quand je suis arrivé. Il a fallu défi­nir les chemins de carrière, puis ce qu’on attend aux diffé­rentes étapes. Ça méri­te­rait une présen­ta­tion à part entière donc je ne détaille­rai pas le contenu lui-même.

Des niveaux d’im­pact

J’ai, dans mon contexte, commencé par défi­nir 4 niveaux de contri­bu­tion indi­vi­duelle : junior, confirmé, expé­ri­menté et senior. C’était un choix appuyé de ma part pour que les niveaux aient un sens.

Dans mes recherches j’avais trouvé des grilles avec des niveaux A B C D et d’autres SE-I SE-II SE-III. Je trou­vais ça trop abstrait.

Je pensais devoir donner un sens plus concret et je le regrette aujourd’­hui. Même avec une grille de critères très détaillés, c’est diffi­cile de se battre avec ce que chacun imagine être un senior ou ce que ça repré­sente dans une autre entre­prise. Ça a fini par être plus une diffi­culté qu’un faci­li­tant.

Au-delà il y a deux lignes de leader­ship, une pour le leader­ship tech­nique (ici appelé « staff ») et une pour le leader­ship humain (ici « team lead », mais ailleurs on appelles souvent ça « engi­nee­ring mana­ger »).

Ce ne sont pas simple­ment des évolu­tions ou spécia­li­sa­tions des rôles de contri­bu­tion indi­vi­duelle. Les rôles de leader­ship sont de vrais rôles à part entière, distincts, même pour le leader­ship tech­nique.

Graphique explicitant les niveaux sur deux axes : Progression technique et progression organisationnelle.

Les niveaux junior, confirmé, expérimenté puis senior vont croissant sur les deux axes. Un niveau grisé « apprenant » apparaît sous le niveau junior dans l'axe de progression technique mais à la même progression organisationnelle.

Au-delà de senior sont tracés dans une autre couleur les niveau staff et principal, montant sur l'axe technique et organisationnel. Un niveau grisé « tech lead » se trouve au même niveau organisationnel que le niveau senior mais très légèrement au-dessus en terme de progression technique.

Dans une troisième couleur on trouve les niveau de manager, directeur et vp. Ils progressent très faiblement sur l'axe technique mais très fortement sur l'axe organisationnel. Un niveau grisé « team lead » se trouve sur le bas du niveau senior en axe technique mais très légèrement plus avancé sur l'axe organisationnel.

Les niveaux apprenant et junior sont indiqués en « exécution » sur l'axe technique et « impact individuel » sur l'axe organisationnel.

Le niveau expérimenté est indiqué en « autonomie » sur l'axe technique et à cheval entre « impact individuel » « impact équipe et projet » sur l'axe organisationnel.

Le niveau senior est sur « expertise, architecture » sur l'axe technique et « impact équipe et produit » sur l'axe organisationnel.

Les rôles de staff et principal sont sur « direction technique » sur l'axe technique, entre « impact équipe et projet » et « impact département » pour le rôle de staff et totalement sur « impact département » pour le rôle de principal sur l'axe organisationnel.

Le rôle de manager est positionné en « expertise, architecture » sur l'axe technique et « impact département » sur l'axe organisationnel (au même niveau que le rôle de principal). Le rôle de directeur est sur « impact entreprise » sur l'axe organisationnel. Le rôle de VP est sur le début de « direction technique » sur l'axe technique et en bout de « impact entreprise » sur l'axe organisationnel.

Il y a plein de choix dans la progres­sion choi­sie. Ne les repre­nez pas tels quels sans les penser.

En parti­cu­lier nous avons décidé que, dans notre contexte, nous atten­dions des mana­gers qu’ils soient aussi capables de rempla­cer un contri­bu­teur indi­vi­duel senior. C’est loin d’être une évidence et ça explique en partie nos diffi­cul­tés de recru­te­ment sur ces postes vu les attentes élevées que nous avons pour les contri­bu­teurs indi­vi­duels senior.

J’ai aussi fait le choix de ne pas avoir de ligne d’ex­per­tise. Ça pour­rait avoir du sens, c’est juste que nous n’en avons pas besoin aujourd’­hui.

Une progres­sion sur ces niveaux

On a créé une grille desti­née à l’éva­lua­tion des niveaux d’im­pact. Celle des contri­bu­teurs indi­vi­duels est sur une ving­taine d’objec­tifs.

La première grille en 2021 avait quelque chose comme quarante objec­tifs. C’était trop, beau­coup trop. Même si cette surcom­plexité n’était pas souhai­tée, je ne suis pas certain qu’il aurait été une bonne chose de l’évi­ter. Avec de nombreux critères on a évité la critique de subjec­ti­vité au moment crucial de la mise en place du système d’éva­lua­tion. Avec cette première expé­rience, passer à une grille plus simple a pu se faire sans géné­rer ce senti­ment.

Chaque niveau a un résumé de ce qu’il repré­sente comme impact et une descrip­tion illus­trant ce que ça implique pour chacun de ces objec­tifs.

JuniorMon focus est sur moi-même, sur mon appren­tis­sage, je suis accom­pa­gné et super­visé par des plus seniors
ConfirméJe suis auto­nome mais accom­pa­gné. Je parti­cipe aux déci­sions qui impactent mon équipe
Expé­ri­mentéJe suis auto­nome, je produis un travail de qualité, je prends des initia­tives, je prends des déci­sions qui impactent mon équipe
SeniorJe suis excellent dans le rôle de déve­lop­peur, ce que je produis a un fort impact (souvent trans­ver­sal), j’ai une exper­tise tech­nique, j’ac­com­pagne et encadre les plus juniors de mon équipe. Je guide et orga­nise des projets.
StaffJ’ai un leader­ship tech­nique dans le dépar­te­ment. Je défi­nis une vision et les objec­tifs. Je fais en sorte qu’on avance sur ces objec­tifs en faci­li­tant, animant, guidant, formant les autres. Je prends la respon­sa­bi­lité de ce qui est trans­ver­sal. J’ai un impact fort et mesu­rable sur tout le dépar­te­ment et l’en­tre­prise.

J’avais commencé ce travail indé­pen­dam­ment de la ques­tion de la rému­né­ra­tion, pour guider et coacher chacun dans sa progres­sion. On ne peut pas prétendre accom­pa­gner chacun sans défi­nir les attentes à chaque étape et sans une vraie poli­tique de feed­back basée sur ces attentes.

Le proces­sus d’éva­lua­tion annuelle paraît très old school à beau­coup mais ça joue un vrai rôle, néces­saire. Je ne vois juste pas comment coacher quelqu’un sans avoir cet instant de recul et de vérité sur ce qui fonc­tionne et ne fonc­tionne pas. On y montre aussi l’évo­lu­tion sur une période, et on y expli­cite les axes de progres­sion futurs.

Ce qui a paru évident assez rapi­de­ment c’est que, quitte à faire ce travail sur le chemin de carrière, on avait inté­rêt à le lier à la rému­né­ra­tion pour l’an­crer à quelque chose de tangible. Au-delà, ça nous permet de restau­rer un senti­ment d’éga­lité et de justice dans la rému­né­ra­tion.

Il y a eu une fin de chemin commune entre deux projets menés initia­le­ment en paral­lèle pour des raisons distinctes, et ça s’est bien agencé.

Étalon­nage

La mise en place de ce chemin de carrière présen­tait ses propres risques. Un mauvais cali­brage et on se retrouve à bloquer ou faire avan­cer trop rapi­de­ment les salaires.

On a commencé par un étalon­nage via une répé­ti­tion d’éva­lua­tion annuelle. Les mana­gers évaluent chacun sur la grille de niveaux sans pour autant lancer tout le proces­sus d’éva­lua­tion annuelle. On regarde alors si ça corres­pond à nos intui­tions.

Je m’étais fixé deux critères pour confir­mer que le chemin était le bon.

  1. Pour n’im­­porte quel contri­­bu­­teur indi­­vi­­duel, il faut que son impact soit plus impor­tant que tous ceux qui ont un niveau infé­rieur, et que son impact soit moins impor­tant que tous ceux qui ont un niveau supé­rieur. Si ce n’est pas le cas c’est que nos niveaux sont proba­ble­ment mal défi­nis.
  2. Ensuite, il faut que la progres­sion type semble assez conti­nue entre les niveaux, sans niveau dans lequel on s’en­lise ni niveau à progres­sion trop rapide. Le cas échéant il faudrait durcir ou adou­cir certaines attentes.

Progres­sion type

On a tenté de compa­rer notre ancienne grille à la nouvelle. L’idée c’est de défi­nir la progres­sion type avec une sorte d’équi­valent d’an­nées d’ex­pé­rience pour chaque niveau.

On sait que ça ne va pas corres­pondre pour tout le monde — c’est même pour ça que je veux mettre en place ces niveaux — mais on devrait trou­ver un parcours type qui corres­pond à la majo­rité, et avoir l’im­pres­sion que ceux qui vont plus vite sont effec­ti­ve­ment nos hauts poten­tiels.

Là, je crois que j’ai eu un peu de chance.

On est tombé quasi­ment magique­ment sur quelque chose comme 20/60/20, c’est à dire 60 % qui corres­pondent à un parcours type, 20 % en dessous et 20 % au-dessus.

Ça nous a donné une progres­sion type envi­ron tous les trois ans pour la partie contri­bu­tion indi­vi­duelle, un peu plus vite au début de carrière. Certains progres­se­ront toute­fois plus rapi­de­ment, ou moins rapi­de­ment, en fonc­tion de leur propre impact.

Tableau avec les 4 niveaux de contribution individuelle en colonne et les années d'expérience de 0 à 20 en lignes.

Sur chaque colonne, certaines lignes sont colorées en rouge (0 et 1 pour junior, 2 et 3 pour confirmé, 4 à 6 pour expérimenté, 7 et plus pour senior)
La zone rouge corres­pond au parcours type de notre grille pour les contri­bu­teurs indi­vi­duels.

Progres­sion semi-auto­ma­tique

Il y avait à la fois une convic­tion que la grille histo­rique ne fonc­tion­nait plus mais aussi la crainte que passer sur un système d’éva­lua­tion annuelle n’en­traîne l’en­tre­prise sur un système qui rompe avec nos valeurs.

On a décidé de faire un 50–50, comme à « Qui veut gagner des millions ? » :

  • 1 250 € à l’ex­pé­rience
  • 1 250 € à l’im­pact.

Avec notre moyenne d’un niveau tous les trois ans, ça fait 3 750 € entre chaque niveau et 5 000 € l’an­née où on change de niveau (puisqu’on cumule le chan­ge­ment de niveau et une année de plus).

C’est d’ailleurs mon erreur au début. J’ai conti­nué à propo­ser les augmen­ta­tions annuelles à date anni­ver­saire alors que les passages de niveau se sont faits lors des évalua­tions annuelles en juillet. Ça a divisé ces 5 000 € en deux parties, dimi­nuant le ressenti lors du passage de niveau. On a corrigé ça et on fait désor­mais les deux augmen­ta­tions en juillet pour tout le monde.

Recru­te­ment

Je n’ai pas envie de débats inter­mi­nables et de faire reve­nir les biais décrits en début de réflexion. Pour éviter ça on place les candi­dats sur la grille en fonc­tion de son nombre d’an­nées d’ex­pé­rience et du parcours type obtenu lors de l’éta­lon­nage (la zone rouge sur l’illus­tra­tion précé­dente).

Tout le monde ne progresse pas à vitesse constante toute sa carrière, et en géné­ral ça va plutôt descen­dant. Si on veut main­te­nir un niveau moyen élevé, il faut prévoir que les progres­sions seront poten­tiel­le­ment plus faibles dans le futur que dans le passé et recru­ter plutôt au-dessus de notre parcours type qu’au-dessous.

Le résul­tat c’est que, lors des tests, si le candi­dat ne semble pas pouvoir atteindre le niveau attendu à la fin de sa période d’in­té­gra­tion, on lui dit non plutôt que le placer au niveau infé­rieur.

Ça nous fait dire « non » à plus de candi­dats qu’on ne devrait, mais c’est ce qui fait qu’on va garder un niveau géné­ral élevé.

Dire non dans ces cas-là nous évite aussi une bonne partie des place­ments exotiques dans la grille, par exemple un junior avec 10 ans d’ex­pé­rience ou un expé­ri­menté avec 20 ans d’ex­pé­rience. Ceux qu’on recrute restent sur le parcours type dont on sait que les rému­né­ra­tions sont cohé­rentes.

Il reste la ques­tion des seniors. Vu qu’on ne force pas tout le monde à passer en leader­ship et que c’est le dernier niveau de contri­bu­tion indi­vi­duel aujourd’­hui, on pour­rait avoir des seniors à 40 ans d’ex­pé­rience avec un salaire exces­sif à cause de la progres­sion auto­ma­tique par année d’ex­pé­rience.

On a là gardé notre solu­tion initiale : le plafon­ne­ment des contri­bu­teurs indi­vi­duels à 20 ans d’ex­pé­rience lors du recru­te­ment. Si je recrute un candi­dat à 40 ans d’ex­pé­rience qui n’a pas évolué au-delà du niveau senior, il sera payé comme un senior de 20 ans d’ex­pé­rience (ce qui est déjà beau­coup).

Note : on compte les années d’ex­pé­rience pour le place­ment au recru­te­ment. Ensuite, ce n’est simple­ment plus un sujet. On ne parlera que de progres­sion de niveau et on fera une augmen­ta­tion auto­ma­tique à l’ex­pé­rience pour tout le monde, sans plafon­ne­ment. Ça posera peut-être des diffi­cul­tés dans 10 ans mais il sera temps d’agir à ce moment-là si vrai­ment la grille n’a pas changé entre-temps.

Cas parti­cu­liers au recru­te­ment

On a fait le choix de valo­ri­ser quand même l’ex­pé­rience spéci­fique de ceux qui ont un parcours atypique avec une recon­ver­sion. Ce n’est pas de l’ex­per­tise, mais le recul et les compé­tences annexes apportent un vrai plus.

On compte l’ex­pé­rience dans le métier cible pour le place­ment dans les niveaux mais on ajoute ensuite quand même la moitié de l’ex­pé­rience pré-recon­ver­sion. On mettra proba­ble­ment un plafond à ce système mais nous n’avons pas encore eu à le faire aujourd’­hui.

On a gardé la possi­bi­lité de faire aussi une excep­tion pour des candi­dats qui ont eu une progres­sion bien plus rapide que la moyenne, dont on saurait moti­ver objec­ti­ve­ment l’ex­cep­tion par leurs réali­sa­tions passées ou leur parcours.

Ça arri­vera proba­ble­ment un jour mais en pratique ça n’a jamais été le cas en trois ans. Je préfère propo­ser d’en­trer au niveau attendu et de faire une promo­tion rapide lors de la période d’es­sai. On l’a déjà fait. On le refera avec plai­sir autant de fois que ce sera perti­nent.

Il faut mettre de vrais chiffres dans notre grille. C’est plus facile à dire qu’à faire.

Défi­nir son marché

Graphique montrant trois courbes avec le salaire annuel en abscisse et le nombre de postes en ordonnées.

La première courbe monte haut mais est la plus à gauche. Elle représente le tiers 1, qui se compare aux entreprises concurrentes locales.

La seconde courbe est moins élevée et un peu plus à droite, recouvrant partiellement la première. Elle est indiquée tiers 2, qui se compare à toutes les entreprises locales.

La troisième courbe est beaucoup plus basse et très nettement plus à droite, à deux fois le salaire de la précédente. Elle est aussi plus aplatie, continuant loin à droite. Elle est indiquée comme tiers 3, en compétition avec toutes les entreprises de la région et toutes les entreprises globales.

L’illus­tra­tion n’est pas mienne.

La ques­tion est à qui on se compare : Les concur­rents locaux directs, tout le marché local, ou tout le marché global.

Ça explique pourquoi les compa­ra­tifs ne vont pas aider, d’au­tant plus s’ils agrègent plein de points de données sans vrai tri préa­lable. Vous en trou­ve­rez plein, tous sérieux, mais qui diront chacun quelque chose de diffé­rent, avec parfois des écarts énormes.

Ce sont trois marchés distincts et faire une moyenne ou une médiane sans distin­guer ces trois zones n’a pas de sens. Le chiffre dépen­drait plus de la répar­ti­tion du corpus entre ces trois caté­go­ries que du niveau de rému­né­ra­tion lui-même.

Même défi­nir quel est notre marché n’est pas une évidence. Nous recru­tions plutôt en T1 et T2, plutôt en marché local ou hors Paris, mais ce sont les T2 et T3 qui recrutent chez nous, avec parfois les tarifs pari­siens. C’est une fierté parce que ça montre à quel point nos pratiques et notre niveau sont élevés mais ça ne nous aide pas.

Déci­der sur quoi il est perti­nent nous aligner relève au final d’un choix stra­té­gique plus que d’un calcul objec­tif.

Défi­nir sa réfé­rence

Nous savions tout ça mais ça n’a pas été simple pour autant. Nous avons quand même perdu beau­coup de temps à débattre des médianes et des compa­ra­tifs de rému­né­ra­tion.

Je me suis d’ailleurs pris les pieds dans le tapis une fois avant qu’on arrive au bon posi­tion­ne­ment l’an­née suivante, faute d’avoir présenté les choses d’une façon qui convainque. J’avais abouti en sélec­tion­nant Figures et Data­re­cru­te­ment comme réfé­rences. On m’a opposé un bench­mark d’une plate­forme de recru­te­ment qui avait des médianes 20 % infé­rieures.

Au final c’est facile de choi­sir arbi­trai­re­ment un compa­ra­tif en fonc­tion de ses propres convic­tions, et vider de son sens l’in­té­rêt de se baser sur un compa­ra­tif.

Se baser sur les offres reçues par les sala­riés ne fonc­tionne pas mieux.

Les sala­riés voient les entre­prises qui mettent leurs offres en avant, qui embauchent des recru­teurs. Ce sont ceux qui ont un fort besoin en recru­te­ment, donc sont déjà prêts à inves­tir plus que la moyenne. Ceux qui sont prêts à chas­ser chez nous sachant qu’on paye plutôt bien sont aussi ceux qui sont au-dessus de la moyenne. Parmi ceux-là, ceux qui mettent en avant une four­chette de salaire tôt dans le proces­sus sont souvent ceux qui en sont fiers donc ceux qui payent dans le haut de leur marché.

À cela il faut penser qu’on va rete­nir les belles offres qui font rêver. Les autres on va vite les oublier en se disant qu’elles ne sont pas pour nous. Elles font pour­tant autant partie du marché.

Les biais de sélec­tion s’ac­cu­mulent et, même avec de la bonne volonté, on finit par se compa­rer à ceux qui payent nette­ment au-dessus du marché réel.

La percep­tion est forte­ment biai­sée et ça s’est encore accé­léré avec le télé­tra­vail depuis la pandé­mie. Les entre­prises pari­siennes se sont mises à solli­ci­ter les travailleurs hors de Paris, avec des tarifs pari­siens de 10 à 20 % supé­rieurs à ceux des autres régions. On ancre ces réfé­rences, même pour les sala­riés qui préfèrent avoir des collègues en local.

Il est souvent impos­sible de suivre, et ce ne serait de toute façon pas forcé­ment une bonne stra­té­gie.

On a aussi essayé de regar­der les entre­prises comme la nôtre mais ce n’est pas simple et n’a pas permis d’avan­cer.

Des scale-up à Lyon il n’y en a pas des dizaines. S’il faut reti­rer celles qui sont juste après une levée de fonds ou un rachat avec un cash qu’on n’a pas, ça limite beau­coup. Si on retire aussi celles qui ont un siège ou une grosse antenne à Paris, ce qui rend perti­nent de recru­ter au tarif pari­sien, on limite encore plus. Si on retire encore celles qui licen­cient beau­coup donc pour­raient regret­ter d’avoir des salaires si haut, celles sur un domaine qui a un fonc­tion­ne­ment ou des contraintes diffé­rentes du nôtre, celles qui sont sur une techno plus ou moins recher­chée, celles qui ont une qualité qui n’est pas celle qu’on cherche, celles qui… à force de reti­rer chaque diffé­rence et chaque cas parti­cu­lier il ne reste plus que nous. Choi­sir ce qu’on retire ou pas revient à choi­sir arbi­trai­re­ment ce qu’on veut rete­nir en fonc­tion de ses propres convic­tions et on fausse encore une fois tout l’in­té­rêt.

Retour à la case départ.

Défi­nir la pente

Dès la première itéra­­tion on arrive quand même à se créer une convic­­tion quant à la pente de progres­­sion, c’est-à-dire de la diffé­rence entre une personne qu’on veut recru­ter en sortie d’école et une avec 10 ans d’ex­pé­rience qui a suivi notre progres­sion type.

Figures et Data­re­cru­te­ment nous donnent quelque chose de suffi­sam­ment cohé­rent avec notre grille histo­rique pour qu’on veuille se fixer dessus.

La surprise, pour moi, c’est qu’au moins sur les 10 à 15 premières années, la progres­sion de salaire de ceux qu’on aime­rait recru­ter est assez linéaire. Je me serais attendu à une progres­sion plus loga­rith­mique.

Mieux, la pente moyenne de cette progres­sion est assez proche de celle qu’on avait déjà histo­rique­ment : 2 500 € par année d’ex­pé­rience.

On va donc figer ces para­mètres. Avec notre choix du 50–50 et notre passage de niveau en moyenne tous les trois ans, ça fait bien 5 000 € d’aug­men­ta­tion l’an­née du passage d’un niveau et 1 250 € les autres années (hors infla­tion, j’y revien­drai après).

Tableau avec les 4 niveaux de contribution individuelle en colonne et les années d'expérience de 0 à 20 en lignes.

Sur chaque colonne, certaines lignes sont colorées en rouge (0 et 1 pour junior, 2 et 3 pour confirmé, 4 à 6 pour expérimenté, 7 et plus pour senior)

Une flèche vers le bas indique un décalage de 1 250 € par année d'expérience.

Une flèche vers la droite indique un décalage de 3 750 € entre deux niveaux.

Une flèche diagonale vers le bas et vers la droite indique que l'année du passage d'un niveau, l'augmentation totale est de 5 000 €

On voit bien que cette pente n’est viable que pour ceux qui suivent quand même de près ou de loin la progres­sion type, sinon ça peut vite deve­nir aber­rant.

Avec le temps, s’il faut mettre à jour cette pente avec l’aug­men­ta­tion des salaires, je pense que j’au­rais tendance à accroître le poids du passage de niveau par rapport à la partie auto­ma­tique liée à l’an­née d’ex­pé­rience.

Ça réduira les problèmes que posent les cas parti­cu­liers qui sortent de la progres­sion type et ça permet­tra de créer plus d’in­té­rêt person­nel à progres­ser.

Tout ça ne nous donne malheu­reu­se­ment toujours pas les chiffres finaux.

Figures.hr

Instant pub mais je n’ai pas de commis­sion
(hey, commer­ciaux de Figures, si vous passez par là, on peut en parler ;-)

Contexte : On a eu une levée de fonds avec une volonté d’ac­cé­lé­rer forte­ment nos recru­te­ments entre notre premier essai, que je consi­dère un peu comme un échec, et notre choix final de l’ou­til Figures. Ça guide aussi la stra­té­gie mise en œuvre.

Un an après, on confirme donc Figures comme réfé­rence. Aujourd’­hui, c’est celui que je recom­mande pour notre cas, et proba­ble­ment pour la plupart des star­tups et scale-ups.

Figures c’est juste une base de données de salaires, comme n’im­porte quelle autre. Ce qui fait sa parti­cu­la­rité c’est qu’elle se consti­tue côté employeur. On évite donc le biais prin­ci­pal qui est d’avoir unique­ment les sala­riés qui recherchent ou ceux qui ont recher­chés par des recru­teurs. Les entre­prises qui veulent fouiller dans la base sont obli­gées d’y injec­ter leurs propres données. Le système donne quelque chose d’as­sez cohé­rent dès qu’il y a une masse critique, qui semble aujourd’­hui atteinte.

Doctolib, Le bon coin, SNCF Connect, Mollie, Qonto, Nickel, Spauldring Ridge, Swile, Open Classrooms, Payfit, Sendcloud, Heycar, trade republic logo, Holidu, Money Box, Yokoy, partenaire, Openup, 2b tube, Shine logo, Qare, Temper, Trengo, Weekendesk, Thirdfort, partenaire, Orderchamp, Ecosia, Payflow, SecondMind, Chillys, Vertice, Nilo Health, Localyze, Lunio, Auctree, Ford truck, Troop, Birdie, Clear Score

Vous vous souve­nez des trois marchés ? Figures affiche pas mal de logos, quelques ESN mais beau­coup de star­tups, scale-ups, et quelques licornes. On est majo­ri­tai­re­ment dans le T2 avec un peu de T1. Main­te­nant ce sont aussi proba­ble­ment des T2 et T1 que leur marke­ting cherche à mettre en avant pour faire rêver. Pour confir­mer, il faudrait avoir la liste inté­grale.

Toujours est-il que ça ressemble quand même beau­coup à pas mal d’en­tre­prises à qui on pour­rait avoir envie de se compa­rer.

Est-ce perti­nent pour tout le monde ? Certai­ne­ment pas.

Par contre, l’ou­til est assez bien fait et ne nous présente pas qu’une médiane. On a des chiffres par déciles, des tris par niveau, par métier, par loca­li­sa­tion, et quelques filtres supplé­men­taires comme le nombre d’em­ployés, le stade de finan­ce­ment, le domaine d’ac­ti­vité, etc.

Défi­nir ses para­mètres

Atten­tion à l’échan­tillon. Les filtres sont magiques mais, au moins hors de Paris, on arrive vite sur une zone non repré­sen­ta­tive dès qu’on en cumule plusieurs. Comme toute recherche de données, on peut faire bien des erreurs de bonne foi. Heureu­se­ment, l’ou­til nous indique le degré de confiance.

On a donc inté­rêt à ne pas trop filtrer, et nous limi­ter aux critères vrai­ment perti­nents.

Quand on a fait l’étude (ça doit forcé­ment varier avec le temps et avec les socié­tés qui parti­cipent), la taille de l’en­tre­prise ne joue en réalité pas un rôle majeur. Le domaine d’ac­ti­vité non plus. Ce dernier point me semble cohé­rent avec l’orien­ta­tion très star­tup et scale-up : Ces socié­tés se ressemblent plus entre elles qu’elles ne ressemblent aux entre­prises clas­siques de leur propre domaine d’ac­ti­vité.

Plus éton­nant pour moi, le stade de finan­ce­ment n’est pas un critère majeur non plus. En fait, les entre­prises très avan­cées ne payent pas forcé­ment plus, et parfois même plutôt moins. Même sélec­tion­ner unique­ment le FT120 ou le Next40 ne fait pas tant monter les rému­né­ra­tions.

Loca­li­sa­tion

Le vrai critère qu’il reste c’est la loca­li­sa­tion. On iden­ti­fie trois corpus assez clairs : Paris, le télé­tra­vail, le reste de la France. Le télé­tra­vail est proche de Paris. Le reste de la France est signi­fi­ca­ti­ve­ment plus bas. Cette dernière caté­go­rie est un peu fourre-tout. On a l’in­tui­tion que Lyon est proba­ble­ment un peu diffé­rent du reste de la France mais l’échan­tillon spéci­fique­ment lyon­nais est trop peu signi­fi­ca­tif pour permettre de s’en assu­rer.

Toujours est-il que, de la même façon que nos marchés T1, T2 et T3 plus avant, on se retrouve avec trois ensembles dont le calcul de la médiane serait plus carac­té­ris­tique de pondé­ra­tion entre les trois que des rému­né­ra­tions elles-mêmes. La pondé­ra­tion risquant de chan­ger avec le temps, la médiane ne repré­sente pas grand-chose.

On va devoir choi­sir. On veut pouvoir recru­ter à Paris et en télé­tra­vail mais l’es­sen­tiel de nos équipes est quand même à Lyon et on souhaite que ça reste ainsi. Ça se voit d’ailleurs dans notre critère de télé­tra­vail : pas à plus de 3 heures de Lyon (j’ai une grande convic­tion là-dessus, venez m’en parler si vous voulez). À défaut de mieux, on se compare donc à « toute la France sans l’Île-de-France ni le télé­tra­vail ».

C’est le seul critère qui nous apporte de vraies diffé­rences et on risque de se retrou­ver avec un trop petit corpus si on ajoute des filtres. On ne garde que celui-là.

Quand on éten­dra la métho­do­lo­gie à d’autres métiers, même ce critère se retrou­vera parfois limi­tant, et on se compa­rera à l’en­semble toutes loca­li­sa­tions confon­dues.

Défi­nir la stra­té­gie

Vous savez quoi ? Même après tout ça, on n’a pas notre grille. On a une réfé­rence, mais la médiane n’est pas forcé­ment le chiffre à rete­nir.

Se placer à la médiane c’est dire que 50 % paye mieux. Est-ce vrai­ment là que nous voulons nous placer ?

On veut un niveau tech­nique élevé et atti­rer des candi­dats excel­lents. On rejette d’ailleurs énor­mé­ment de monde lors du proces­sus de recru­te­ment. Posi­tion­ner ensuite la rému­né­ra­tion à la médiane du marché ne serait pas cohé­rent. Quelques sala­riés nous le disent d’ailleurs expli­ci­te­ment lors des discus­sions.

On regarde notre intui­tion sur ce qu’il faut faire (désolé pour ceux qui pensent que tout est parfai­te­ment chif­fré, à un moment il faut faire des choix arbi­traires de stra­té­gie) et ça tombe assez bien avec le 75ème percen­tile de notre choix géogra­phique.

« Ils sont où les chiffres ? »

J’ai fait l’in­ter­ven­tion au Mixit au nom de mon employeur. J’ai eu le plai­sir d’y diffu­ser en pleine trans­pa­rence la grille de ce moment là, avec tous les chiffres. Plein de gens ont pris des photos qui se retrouvent proba­ble­ment en ligne. Il y a aussi eu un enre­gis­tre­ment vidéo qui finira sur la page de la confé­rence s’il n’y est pas déjà quand vous lisez ces lignes.

Ici c’est un espace person­nel avec un discours un peu plus intem­po­rel et des opinions qui n’ap­par­tiennent parfois qu’à moi. Je préfère donc ne pas y mettre d’in­for­ma­tions spéci­fiques à mon employeur.

C’est cohé­rent avec notre stra­té­gie : on ne concur­rence pas Paris mais on veut être en haut de liste chez nous.

Haut de liste ça veut quand même dire qu’on ne sera pas systé­ma­tique­ment le meilleur payeur. C’est assumé.

Par défi­ni­tion, on a 25 % de la popu­la­tion cible qui sera mieux payée que chez nous. Parfois ça sera même beau­coup mieux, parce que plus on s’écarte de la médiane plus les salaires explosent de façon expo­nen­tielle. Souve­nez-vous le graphique des trois marchés, comment le T1 a une longue traîne vers la droite. On ne cherche pas à dépas­ser ce marché-là, ou même à être celui qui met le plus sur la table dans le T2.

Ça nous laisse toute­fois correc­te­ment placés correc­te­ment par rapport à la France entière (donc le corpus semble quand même majo­ri­tai­re­ment pari­sien), proche de la médiane, donc ça nous permet encore de recru­ter à Paris sachant qu’on donne aussi des rému­né­ra­tions annexes (BSPCE) qui peuvent être très signi­fi­ca­tives dans le temps.

Est-ce que vous devez prendre le 75ème percen­tile ?

Proba­ble­ment pas. Si je devais être joueur, je dirais que ça a même 75 % de chances d’être trop élevé pour vos besoins. Tout le monde ne peut pas être au 75ème percen­tile. C’est juste notre stra­té­gie, en fonc­tion de notre contexte, à ce moment-là.

C’est d’au­tant plus vrai que, sauf à aban­don­ner l’idée de grille en payant diffé­rem­ment les nouveaux et les anciens, on peut faire monter la grille mais pas la faire descendre. Pour descendre la seule solu­tion c’est arrê­ter de suivre l’évo­lu­tion du marché et espé­rer que le marché nous dépas­sera. Ça peut prendre du temps, surtout en période de crise où le marché aura tendance ne pas augmen­ter, voire à bais­ser. Bref, prudence.

Défi­nir l’évo­lu­tion

J’ai dit que les augmen­ta­tions annuelles se font hors infla­tion. En réalité c’est impos­sible d’in­té­grer l’in­fla­tion dans la grille vu que c’est quelque chose qui varie chaque année. Je risque rapi­de­ment de me retrou­ver avec une grille décon­nec­tée de la réalité.

La solu­tion c’est de faire évoluer la grille elle-même, régu­liè­re­ment.

On ne se calera cepen­dant pas sur l’in­fla­tion mais sur le marché. On se confronte à notre réfé­rence et on se met à jour en fonc­tion. Ce sera proba­ble­ment une fois tous les ans ou tous les deux ans.

On garde un second critère en paral­lèle : le taux de rejet au recru­te­ment.

Avoir une grille simple et un posi­tion­ne­ment objec­tif au recru­te­ment nous permet de donner un posi­tion­ne­ment de rému­né­ra­tion dès le premier échange avec un candi­dat. Si la rému­né­ra­tion propo­sée pose problème, on le sait tout de suite. On se dit aujourd’­hui qu’on aura quelque chose à rééva­luer si on a plus de 20% de refus à cause du salaire dans les candi­dats qui corres­pondent à nos offres.

Ce double critère, un compa­ra­tif de marché et un cali­brage au recru­te­ment, nous garan­tit une démarche juste, indé­pen­dam­ment de tous les biais qu’on a exploré.

L’idée est de sortir le salaire de l’équa­tion. On paye bien. La métho­do­lo­gie permet à chacun d’avoir confiance dans la grille établie malgré le ressenti que donnent toutes les offres qu’on voit passer. On peut se concen­trer sur ce qu’on réalise plutôt que nous battre sur la ques­tion du salaire.

Il n’y a pas qu’une seule vérité, juste des choix, pas toujours aussi libres qu’on ne l’ai­me­rait. C’est aussi pour ça que je ne fais que racon­ter mon histoire. C’est à vous de créer la vôtre, avec vos propres choix.

La partie qui suit est proba­ble­ment plus tour­née vers l’opi­nion person­nelle. À vous d’en faire l’usage qui vous convient.

Diplôme, alter­nance, et leur absence

J’ai la convic­tion que les études ne servent pas à rien. Je vois géné­ra­le­ment la diffé­rence entre un jeune diplômé BAC+2 et un jeune diplômé BAC+5. Je suis cepen­dant géné­ra­le­ment inca­pable de dire si quelqu’un dans les 10 ans d’ex­pé­riences avait fait des études courtes ou des études longues.

La formule qu’on a trouvé c’est de comp­ter de la même façon un BTS avec 5 ans d’ex­pé­rience, un IUT avec 4 ans d’ex­pé­rience, et une école d’in­gé­nieur avec 2 ans d’ex­pé­rience.

Ce qu’on n’ap­prend pas en études on peut l’ac­qué­rir en expé­rience. Ce n’est pas équi­valent — on n’ap­prend pas les mêmes choses — mais sur le moyen terme ça me semble une bonne approxi­ma­tion que tout le monde comprend et accepte.

Cette règle simple permet aussi de faci­le­ment gérer le cas de l’al­ter­nance. Si on compte de la même manière les années de forma­tion et les années de pratique, on compte aussi de la même façon les années qui mêlent les deux.

Très bonnes écoles

J’ai toujours été embêté par la ques­tion des très bonnes écoles.

Pour être honnête, je sais que quand je recrute quelqu’un qui vient de Centrale Lyon, j’ai toutes les chances d’avoir un candi­dat qui sortira du lot.

Ce que je sais aussi, c’est qu’une personne excel­lente sera excel­lente qu’elle aille à centrale ou dans le BTS du coin. C’est juste qu’une part impor­tante des personnes excel­lentes va dans de très bonnes écoles.

Beau­coup mais pas tous, pour plein de bonnes raisons qui sont propres au parcours de chacun. Je trouve injuste et mal avisé de forcé­ment rému­né­rer en fonc­tion de ce critère.

Au final je préfère dire que si quelqu’un est vrai­ment bon, il progres­sera vite dans les niveaux et pourra obte­nir très vite une très bonne rému­né­ra­tion. Je fais confiance et donne les oppor­tu­ni­tés à tout le monde au départ. Je ne l’ai jamais regretté.

Paris et Île-de-France

J’ai déjà donné mon opinion il y a quelques années. Elle n’a pas changé, même si je l’écri­rais aujourd’­hui avec proba­ble­ment plus de condi­tion­nel et moins de radi­ca­lité.

Je ne dis pas que ça ne se fera jamais, mais à mon sens si jamais ça se fait ça sera par besoin, pas simple­ment pour mieux rému­né­rer ceux qui font le choix de rester dans une zone chère.

Enfants à charge

La ques­tion sous-jacente : est-ce que la rému­né­ra­tion doit s’adap­ter à la valeur produite par la sala­rié ou par les besoins de vie du sala­rié ?

C’est un choix poli­tique plus qu’un choix d’en­tre­prise, et je ne souhaite pas confier la poli­tique sociale aux inté­rêts privés des chefs d’en­tre­prise. C’est pour moi un choix qui doit appar­te­nir à la collec­ti­vité et s’im­po­ser ensuite à tous.

Pour autant, je sais bien qu’on ne vit pas dans un monde idéal, et il est natu­rel de trou­ver posi­tif que certaines entre­prises tentent de compen­ser les lacunes de notre poli­tique sociale.

Quelle est la bonne limite ? Je ne sais pas. J’ai­me­rais juste que les bonnes actions des entre­prises ne soient pas une désin­ci­ta­tion à ce que l’État joue son rôle.

Fidé­lité

En star­tup on a un super outil pour récom­pen­ser la fidé­lité : les BSPCE (si vous ne connais­sez pas, pensez « stock options »).

Pour les autres… je ne sais pas. Jouer sur la rému­né­ra­tion c’est risquer de rete­nir des sala­riés en les payant au-dessus du marché. Ça fonc­tionne mais on risque aussi de rete­nir des personnes qui ne sont plus impliqués et qui n’ont plus tout à fait envie d’être là.

Quitte à choi­sir, je préfère récom­pen­ser la fidé­lité par des congés. On évite l’ef­fet prison dorée.

Temps partiel

On m’a posé la ques­tion du temps partiel. C’est telle­ment simple pour moi que je n’y étais pas préparé : le temps partiel est possible, la rému­né­ra­tion est au prorata.

D’un point de vue person­nel j’ai même tendance à encou­ra­ger le 80 %. La perte de produc­ti­vité est fina­le­ment assez faible.

Pour un mi-temps, l’équa­tion est diffé­rente. J’ai la convic­tion que la produc­ti­vité est infé­rieure à 50 %, parce que les temps non-produc­tifs (synchro­ni­sa­tion, discus­sions, appren­tis­sages) sont incom­pres­sibles. Au global toute­fois, tant que les demandes de mi-temps sont margi­nales, je préfère lais­ser la possi­bi­lité ouverte et conser­ver cette simple règle du prorata.

Calcul d’ex­pé­rience

On comp­tera un période à temps partiel 80 % comme une à temps plein.

Un congé mater­nité, un arrêt mala­die ou un mi-temps de quelques mois au milieu d’une période d’ac­ti­vité comp­te­ront aussi proba­ble­ment comme une période d’ac­ti­vité à temps plein.

Un mi-temps de plusieurs années comp­tera proba­ble­ment pour moitié. Un arrêt mala­die ou un congé sans solde de plusieurs années ne comp­te­ront proba­ble­ment pas comme une période d’ac­ti­vité.

Où est la limite ? Je ne sais pas encore. Peut-être 6 mois, peut-être 1 an, peut-être autre chose, et peut-être que ça dépen­dra des cas. Nous n’avons pas encore eu à tran­cher.

Variable

Là aussi, j’ai déjà écrit et je n’ai pas varié. La litté­ra­ture est assez claire pour dire que les primes sur objec­tifs sont une mauvaise chose pour les métiers autres que les métiers d’exé­cu­tion.

Nous avons toute­fois un inté­res­se­ment à la réus­site collec­tive de l’en­tre­prise, via les BSPCE.



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Commentaires

2 réponses à “Pourquoi une grille de salaire ?”

  1. Avatar de Maxime Werlen
    Maxime Werlen

    Article vraiment très intéressant. Ça montre toute la complexité de la mise en place d’une grille de salaire, mais aussi tous les avantages liés à la transparence.
    Merci

  2. Avatar de Pierre

    Merci Éric pour ton partage ! :-)

    J’ai hâte de lire la suite. :D

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