Contexte (*)
Une psychologue et auteure intervient dans les média sur ses sujets de d’expertise. Elle indique le faire bénévolement parce que le sujet lui semble important. C’est l’usage. Cette fois-ci, les presque deux heures de temps investis l’ont été à vide parce que l’interview prévue sur M6 ne sera ni diffusée ni utilisée. Le temps ne sera pas dédommagé. Côté journaliste, ça arrive, ça fait partie du jeu. L’intervenante, elle, déclare publiquement que désormais elle demandera à être rémunérée.
Nombreux sont les journalistes qui disent tomber des nues (pour les plus polis, parce que c’est en réalité bien plus méprisant). « On ne rémunère pas les sources » revient souvent, au nom de la déontologie du journalisme.
Je trouve ces positions des plus hypocrites. Peut-être qu’on pourra m’expliquer.
M6 n’est pas une œuvre caritative. Son business c’est vendre de l’espace publicitaire, en tirer du bénéfice, et verser des dividendes à ses actionnaires. On parle en millions, 230 millions de résultat net après impôt en 2023.
Pour vendre son espace publicitaire, la chaîne crée des contenus, qu’elle achète ou qu’elle fait créer en interne. Pour ces contenus on paye des journalistes. Tout le monde, moi inclus, trouvera légitime qu’on paye ces journalistes.
Le journaliste n’est pas seul. On peut payer des images, un monteur, un secrétariat, des locaux, un cameraman, peut-être un preneur de son, peut-être des maquilleurs, et j’oublie probablement 80 % des métiers qui sont nécessaires à la production et à la diffusion. Tout ça pour vendre la publicité de M6.
Et là, si la chaîne et le journaliste ont besoin d’expertise pour produire leur contenu, à quel titre est-ce que le professionnel qui donne son temps et son expertise ne mériteraient pas d’être rémunérés eux aussi ?
Que des professionnels choisissent d’intervenir sans rémunération sur des sujets qui leurs tiennent à cœur, je ne trouverai jamais rien à y redire. Chacun est libre. J’ai fait plein de choses bénévolement, par choix, et je continuerai d’en faire.
Que d’autres professionnels choisissent, eux, de demander une rémunération en échange de leur temps et de leur expertise, ça ne devrait faire bondir personne.
Je trouve salement hypocrite les journalistes qui défendent (à raison) leur rémunération et la valeur de leur métier, et qui en parallèle s’offusquent ou se moquent d’un professionnel qui souhaite être rémunéré pour son temps quand on le sollicite.
Invités récurrents, spécialistes de plateau, certains sont d’ailleurs effectivement payés. Sans faire trop de parallèle, ça me rappelle d’ailleurs la victoire aux prud’hommes de candidats de jeux télévisés qui avaient demandé une rémunération pour leur participation.
« On ne rémunère pas les sources »
Déontologie journalistique
Je serais tenté de dire que la déontologie journalistique concerne les journalistes et uniquement eux. Ce n’est pas le problème des tiers qui sont sollicités.
Libre aux journalistes de ne travailler qu’avec des bénévoles. Ça n’autorise pas de s’offusquer que d’autres demandent une rémunération, et encore moins de tirer à boulets rouges sur ces derniers.
Il ne faudra cependant pas ensuite se plaindre que ça fonctionne dans les deux sens, quand les lecteurs ne veulent lire que la presse gratuite et trouvent ridicule de devoir payer
Même ainsi, en réalité cette déontologie elle est à géométrie variable.
On paye des experts. Certains journalistes le disent d’ailleurs explicitement : On les rémunère déjà en visibilité, c’est à dire en publicité.
C’est opaque, non déclaré au fisc, mais l’usage. Parfois c’est doux, tu viens parler et en échange ça te permet de passer un message. Parfois c’est franchement plus explicite avec les charrettes d’experts qui viennent pour qu’on cite leur livre qui vient de paraître — ce que le journaliste s’empresse bien de faire puisque la rémunération sous forme de publicité est là tout à fait assumée.
L’enjeu ne semble pas être de rémunérer ou pas, c’est simplement de mettre ou pas la main au portefeuille. La déontologie elle a un peu bon dos.
Je crois que ceux que je trouve hypocrite sont justement ceux qui disent à la fois que rémunérer ne serait pas déontologique et que, quand même, les experts sont rémunérés en visibilité. Il faudrait choisir.
Libre à vous de demander ou pas rémunération, de le demander en espèces ou en publicité cachée.
Libre à vous de choisir si vous ne faites appels qu’à des vrais bénévoles, si vous souhaitez rémunérer en visibilité ou publicité, ou si vous acceptez de rémunérer en espèces de façon transparente.
Faites vos choix. Juste, éviter de vous offusquer qu’un professionnel demande à être rémunéré quand on sollicite deux heures de son temps pour restituer son expertise. Ça, tout le monde devrait applaudir.
(*) Pas de liens, volontairement, car elle diffuse des opinions politiques dont je ne souhaite pas assurer la publicité, même indirecte.
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