Signez avec votre sang

Je vois tout le monde autour de moi signer ses contrats de travail les yeux fermés en véri­fiant juste le salaire.

Je vois mes contrats mais je conseille aussi souvent des tiers sur le sujet. Je suis effaré des pratiques des dépar­te­ments RH.

Tout y est fait à sens unique, pour contraindre le sala­rié et proté­ger l’en­tre­prise. Je ne vois pas comment on peut avoir envie de travailler avec un employeur après avoir lu le contrat de travail et vu à quel point il est déséqui­li­bré, faisant porter tous les risques sur le sala­rié.

On parle de confiance et de colla­bo­ra­tion mais le texte dit tout l’op­posé.


Les réponses que j’ai, que ce soit de la part des employés ou des employeurs, reviennent en géné­ral à dire « oui mais c’est appliqué intel­li­gem­ment », « c’est unique­ment en cas de problème » ou « l’ap­pli­ca­tion litté­rale ne passe­rait pas les Prud’­hommes de toutes façons » voire « ce serait trop complexe à décrire » ou « si ça pose problème on pourra toujours démis­sion­ner ».

Mais alors juste­ment, si on sait qu’on ne va pas appliquer le texte, pourquoi ne pas cher­cher une formu­la­tion perti­nente dès le départ ? sauf si l’in­ten­tion est bien de réser­ver la possi­bi­lité de s’en servir un jour, soit comme menace soit comme outil de pres­sion.

Les effets ne sont pas théo­riques. Il s’agit de se retrou­ver en insé­cu­rité au moindre problème ou dès que la confiance n’est plus là. De façon géné­rale, il s’agit de se retrou­ver dans un rapport de force défa­vo­rable qui va inci­ter à accep­ter, subir ou renon­cer des choses qu’on n’au­rait pas accepté, subie ou renoncé si faci­le­ment. Dans les cas les plus forts ça peut se finir en un licen­cie­ment non souhaité ou dans des condi­tions peu enviables, voire dans des demandes de dommages et inté­rêts aux Prud’­hommes.

Alors quoi ?

Je sais bien qu’on n’a pas toujours les moyens de se battre, ni l’en­vie, ni la compé­tence, ni le rapport de force pour ça. Moi aussi j’ac­cepte des clauses que je trouve illé­gi­times et sacré­ment problé­ma­tiques dans mes contrats de travail.

Il y en a d’autres que parfois — souvent — j’ar­rive à faire évoluer. Certaines que je refuse de signer.

Ce que j’ima­gine c’est un site, peut-être un forum, où on peut glis­ser certaines clauses types, lais­ser chacun copier la sienne, permettre de voir les formu­la­tions problé­ma­tiques et exces­sives, mais aussi avoir des armes pour prendre exemples sur les formu­la­tions plus équi­li­brées qu’ont certains pairs.

Bref, j’ai­me­rais outiller le rapport de force contrac­tuel.


De quoi parle-je ?

De la clause de mobi­lité « France entière » alors que vous n’êtes en rien un VRP ou amené à bouger autre­ment que ponc­tuel­le­ment dans le poste qui est prévu. Quelles condi­tions aurez-vous s’ils ferment le bureau de Bordeaux ? Saurez-vous prou­ver que la demande de vous trans­fé­rer à Paris n’entre pas dans un rapport de force pour vous faire taire, vous punir ou vous forcer à la démis­sion ?

De la clause de confi­den­tia­lité qui s’étend sur à peu près tout jusqu’à la façon de travailler, au contenu des produits et services, et au menu de la cantine, alors qu’on vous demande en paral­lèle de colla­bo­rer avec des clients, des parte­naires, des candi­dats au recru­te­ment voir à du public. Bien évidem­ment vous aurez à parler de ce que vous faites mais tout pourra arbi­trai­re­ment vous êtes repro­ché ensuite, au bon vouloir de l’em­ployeur et suivant ses propres critères. Saurez-vous prou­ver que le licen­cie­ment est un prétexte pour autre chose de tout à fait légi­time ? Avez-vous la garan­tie qu’un chan­ge­ment de contexte, de direc­tion ou de stra­té­gie ne risque pas de vous repro­cher une prise de parole passée vu qu’en théo­rie tout était déjà inter­dit à l’époque ? Saurez-vous résis­ter à la pres­sion d’éven­tuelles demandes de dommages et inté­rêts, fussent-elles illé­gi­times, basées sur le péri­mètre large de la clause ?

De la clause de non concur­rence, telle­ment impré­cise ou large que l’em­ployeur pour­rait vous repro­cher n’im­porte quel nouvel employeur après coup suivant des critères arbi­traires et chan­geants ? Comment faites-vous pour éviter de faire concur­rence à une société qui dit « inter­agir avec des données commer­ciales » ?

Toujours de la clause de non concur­rence, où l’em­ployeur se réserve parfois la possi­bi­lité d’y renon­cer plusieurs mois après la rupture, empê­chant de fait de répondre aux solli­ci­ta­tions mais sans jamais avoir la compen­sa­tion finan­cière corres­pon­dante. Et l’in­dem­nité, est-ce qu’elle doit être à 40% ? 30 % ? 20% ? Peut-elle inclure les autres indem­ni­tés de licen­cie­ment et de congés payés ?

De la clause d’ex­clu­si­vité qui peut empê­cher d’écrire, de colla­bo­rer à une asso­cia­tion même de façon béné­vole, d’écrire du logi­ciel open source ou d’y contri­buer sur son temps libre, de se faire payer pour quoi que ce soit à côté.

De…


« oui mais c’est appliqué intel­li­gem­ment »

La version alter­na­tive est « fais-nous confiance ». Je trouve ça hypo­crite.

Si la démarche est de bonne foi (et je suis convaincu qu’en géné­ral elle l’est), alors tentons une formu­la­tion intel­li­gente équi­li­brée dès le départ, et faisons effec­ti­ve­ment confiance pour que l’es­prit en soit respecté sans cher­cher tous les cas limite.

Il n’y a pas de secret : Souvent c’est « pour se couvrir » parce que juste­ment il n’y a pas de confiance. Ce n’est ni illo­gique ni illé­gi­time. On ne sait pas quelle sera la rela­tion dans le futur et il se peut que la confiance casse. C’est d’ailleurs pour ça qu’on fait un écrit.

Main­te­nant si l’in­ten­tion est là, il faut le lire des deux côtés : Il est anor­mal et illé­gi­time de deman­der à l’em­ployé de faire confiance sur une clause déséqui­li­brée et déme­su­rée si elle est juste­ment prévue pour le cas où la confiance est rompue. C’est unique­ment en cas de problè­me…

« c’est unique­ment en cas de problème »

Parce que, bien évidem­ment les textes sont là unique­ment en cas de problème. Là où il n’y a pas de problème il n’y a pas besoin de se réfé­rer au contrat.

C’est juste­ment parce que ça sert en condi­tion de problème et de conflit qu’a­voir une clause équi­li­brée et précise est impor­tant.

Ce qu’on dit c’est que, au moindre problème, l’em­ployé est pieds et poings liés. Est-ce ça le message qu’on veut envoyer ?

Géné­ra­le­ment ça veut aussi dire qu’en cas de problème tiers, pas forcé­ment lié à la clause discu­tée, l’em­ployeur va pouvoir arbi­trai­re­ment piocher à volonté dans le contrat de travail pour trou­ver plein de contraintes et viola­tions. Il s’y donne des outils arbi­traires de pres­sion et de rétor­sion. Même quand ce n’est pas l’in­ten­tion de départ – et je veux bien croire que ça l’est rare­ment – j’ai vu plusieurs cas où ça a été utilisé ainsi au final.

« ce serait trop complexe à décrire »

Et pour­tant, il va bien falloir l’ap­pliquer cette clause dont la formu­la­tion est exagé­ré­ment large. Il y a quelqu’un qui va devoir l’in­ter­pré­ter pour savoir ce qui est fina­le­ment possible ou non. Dans les mauvais scéna­rios il y aura des conseillers prud’­ho­maux qui vont devoir décrire les limites et équi­libres.

S’il est effec­ti­ve­ment infai­sable de décrire ce qui est en réalité possible ou non, on a un problème là, dès main­te­nant. Je ne vois pas comment on peut attendre que le sala­rié sache de lui-même ce qu’il faut réel­le­ment respec­ter si le respon­sable légal de l’en­tre­prise est lui-même inca­pable de l’ex­pli­ci­ter par écrit.

Si en réalité il est possible de décrire les choses correc­te­ment (bien entendu que c’est possible), alors insé­rer une formu­la­tion exagé­ré­ment large sert surtout à faire peur à l’em­ployé, à espé­rer qu’il se retien­dra plus que néces­saire, ou à pouvoir arbi­trai­re­ment lui repro­cher ce dont on jugera gênant après-coup.

« l’ap­pli­ca­tion litté­rale ne passe­rait pas les Prud’­hommes de toutes façons »

Si les deux premières réponses peuvent être de bonne foi, Cette réponse passe dans ma caté­go­rie « malveillance ».

Si on sait que c’est inap­pli­cable, il n’y a aucune bonne raison de l’écrire. Si on sait que l’in­ter­pré­ta­tion légale sera restric­tive, il n’y a aucune bonne raison de ne pas rete­nir la formu­la­tion restric­tive dès le départ.

Non ça ne revient pas au même. Ça veut dire que l’em­ployeur a une base pour faire pres­sion, pour se battre aux Prud’­hommes, et pour mettre une insé­cu­rité signi­fi­ca­tive sur l’em­ployé en cas de problème futur.

Et puis, « inap­pli­cable » revient souvent à dire « illé­gal ». L’em­ployeur est en train de dire qu’il est prêt à inscrire des choses illé­gales, qu’il sait comme telles et dont il sait qu’elles ne seront donc pas appli­cables, et ce à votre détri­ment soit pour s’en servir quand même soit parce qu’il consi­dère que les droits du sala­rié sont de peu d’in­té­rêt face à son proces­sus d’en­tre­prise. Est-ce vrai­ment la rela­tion qui mérite d’être initiée ?

Même ce qui ne passe pas les Prud’­hommes, je vous assure qu’être ou pas en viola­tion formelle d’une clause du contrat change tout pour le sala­rié, que ce soit nerveu­se­ment ou sur le rapport de force.


Publié

dans

par

Étiquettes :

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *