Quand je discute avec mes employeurs j’ai parfois l’impression d’être le seul emmerdeur à discuter du contenu du contrat de travail. J’y tiens pourtant. Je ne veux pas m’engager à n’importe quoi, ou garder en permanence une épée au dessus de la tête à cause d’une clause beaucoup trop déséquilibrée.
Je suis agréablement surpris parce que visiblement je ne suis pas le seul. Une un gros tiers d’entre vous semble en faire autant.
Le point essentiel :
Votre salaire et votre poste sont déjà sur la promesse d’embauche. Vos modalités de temps de travail ou convention collective seront les mêmes que les autres, et facilement prouvables, donc il vous est inutile d’en avoir une copie à vous.
Sur le contrat de travail il y a surtout les clauses au bénéfice de l’employeur : l’exclusivité, la non-concurrence, la confidentialité, la mobilité, le non-débauchage, la propriété intellectuelle et j’en passe.
Tout ça fait partie du deal d’un travail salarié mais ça ne se signe que si c’est acceptable et suffisamment équilibré.
Comment ça se passe ?
Les départements RH sont plus souvent réceptifs à des changements motivés et raisonnables qu’on ne le croit.
Si vous ne comprenez pas quelque chose ou que vous n’êtes pas certain, posez la question par email. Si quelque chose vous gêne, proposez une modification raisonnable et expliquez pourquoi, là aussi par email.
Le bon moment
La première étape c’est de faire ça au bon moment : Quand on discute de l’offre, juste avant de l’accepter. Les conditions d’engagement font partie de l’offre, c’est normal de les demander, et éventuellement de les discuter. Certains trouveront peut-être ça inhabituel mais ça ne choquera personne : Demandez le brouillon du contrat de travail type à ce moment là.
C’est toujours faisable après coup à lors des premiers jours de travail quand on vous proposera le contrat déjà finalisé, mais ça arrivera comme un cheveux sur la soupe et ça sera bien plus difficile à négocier.
La confiance et la bonne intelligence
La chose difficile c’est de réfuter toute notion de confiance et de bonne intelligence. Bien entendu que vous faites confiance à votre employeur et qu’en cas de problème vous traiterez ça tous deux en bonne intelligence.
Le truc c’est que le contrat sert justement dans les autres cas, quand il y aura un conflit ouvert que vous ne pourrez pas le résoudre entre vous en confiance et/ou en bonne intelligence (ou que vous aurez une opinion différente de la dite bonne intelligence). C’est d’ailleurs pour ça que votre employeur vous en impose un. Là, ce sera le texte qui comptera. Si ce que dit le texte n’est pas bon dans ce contexte, alors il faut le changer.
Peut-être que vos interlocuteurs changeront et ne seront plus là pour tenir leurs interprétations ou engagements. Peut-être que la société elle-même changera de contrôle et imposera une autre vision.
C’est dans ce contexte qu’il faut discuter, et dès qu’on vous parle de confiance ou de bon intelligence, c’est probablement cette hypothèse qu’il faut rappeler.
Dans tous les cas la confiance et la bonne intelligence sont à double entrée. On ne peut pas vous mettre une clause large et punitive qui montre que eux n’ont pas confiance (et préparent le cas du conflit) tout en vous demandant à vous de faire confiance.
L’écrit
Faites un maximum d’échanges par email, quitte à vous-même faire un résumé de la discussion que vous enverrez par email. Les interprétations et réassurances qu’on vous donnera (et dans une bien moindre mesure celles que vous aurez résumé et qu’ils n’auront pas contesté) leur seront potentiellement opposables si besoin était.
Faute de faire changer les textes, si les engagements oraux vous semblent raisonnables, une possibilité peut aussi être de reposer les interprétations, réassurances et engagements qu’on vous a fait dans le courrier qui indique que vous acceptez leur offre.
J’ai bien noté dans nos échanges à propos du contrat de travail que […]. Merci de ces éclaircissements. Je suis donc heureux d’accepter cette offre […]
Vous pouvez d’ailleurs jouer aussi sur ce que vous ne comprenez pas (si effectivement vous ne le comprenez pas, ne faites pas semblant). Dire « je ne comprends toujours pas […] » est engageant parce que ce qu’on vous fait signer tout en sachant que vous ne le comprenez pas est potentiellement réfutable plus tard. C’est une bonne réponse si le département RH vous dit « ta gueule, c’est la version légale, ça ne compte pas et ça ne veut pas dire ce que tu crois » (en plus poli).
L’issue
Idéalement vous vous mettez d’accord et vous amendez le contrat. Vous pouvez aussi faire un avenant spécifique au contrat. Ça permet à l’employeur de ne pas toucher au contrat commun mais vous accorder des exclusions ou modifications spécifiques.
À défaut de modifications sur le texte lui-même, tout engagement ou interprétation explicitée par votre employeur a force de contrat, d’où les écrits proposés plus haut.
Enfin, si l’employeur ne lâche rien, à vous de voir quels compromis vous voulez faire. Leur refus est toutefois une information en soi : Voulez-vous vraiment travailler dans une entreprise qui a des clauses déséquilibrées ou inacceptables et un département RH qui refuse de transiger intelligemment ?
À quoi faire attention
Choisissez vos combats. Vous pouvez négocier le contrat de travail mais pas tout le réécrire. Si vous en faites trop, vous aller simplement braquer votre interlocuteur.
Focalisez-vous sur les points les plus importants pour vous ainsi sur ceux qui à votre avis sont les plus faciles à entendre pour l’employeur.
Mon conseil : Si quelque chose est vraiment manifestement excessif ou illégal au point que ça ne pourra jamais être utilisé, n’en parlez pas. Une clause de non-concurrence illégale est tout à votre avantage : Vous pouvez espérer la faire exécuter si elle vous est bénéfique, tout en la faisant sauter si elle se révèle contraignante.
Mieux vaut porter l’attention sur ce qui peut réellement vous nuire, ainsi que ce qui est borderline ou dont l’interprétation peut varier.
Voici quelques points auxquels je fais attention (la liste n’est malheureusement pas exhaustive) :
Exclusivité
Est-ce que je peux écrire un livre en parallèle de mon activité ? Est-ce que je peux présider une association non lucrative ? Est-ce que je peux faire recommander un ami pour un recrutement ? Est-ce que je peux faire le mentor après d’un développeur ou manager plus junior ? Est-ce que je peux contribuer à des projets open source ou communautaires ?
C’est en partie parce que j’ai fait tout ça en parallèle de mes activités salariés que je suis qui je suis, là où je suis. M’interdire ces activités c’est en vouloir le résultat sans accepter de me laisser me développer.
Généralement l’employeur ne trouve rien à redire à ma liste, alors on retire la clause, ou on fait des exceptions explicites à l’écrit. C’est honnêtement une clause très simple à faire amender tant qu’on ne prétend pas faire un second boulot plein temps en parallèle du premier.
Non débauchage
Cette clause là est en général bien plus difficile à faire changer parce que les employeurs qui en ont une sont assez soupçonneux.
Le problème c’est que toutes les clauses de ce type que j’ai croisé sont excessivement larges. Elles interdisent en général toute sollicitation, directe ou indirecte, de n’importe qui.
Je ne cherche pas à débaucher mais je ne veux pas de problème si jamais un ancien collègue me rejoint. Je ne veux pas que lui soit mis dans l’impossibilité de le faire, puisque pour certains employeurs ces clauses sont autant là pour restreindre leurs possibilités des salariés actuels que pour éviter le non-débauchage.
Un argument qui porte parfois et qui m’est particulièrement important : Est-ce qu’une telle clause aurait pu m’empêcher de vous rejoindre si un ancien collègue travaillait déjà pour vous et que mon ancien employeur était devenu peu coopératif entre temps ? Si oui alors c’est incohérent (si ce n’est pas assumé) ou immoral (si ça l’est).
Secret ou confidentialité
Ces clauses sont généralement excessivement larges. Elles ne poseront probablement pas de problème à une grande partie des salariés mais permettront un arbitraire total si votre rôle est de communiquer à l’extérieur (conférences, recrutement, communauté, etc.).
De manière intéressante, c’est la seule clause qu’il est plus facile de négocier après le début du travail, parce qu’il y a la menace de l’appliquer de façon littérale avec « désolé, je ne peux pas, je suis interdit par contrat ».
Quand l’employeur accepte la discussion, une solution est de lui faire expliciter les cas dont il veut se protéger. Souvent ces cas sont déjà couverts par défaut par le droit du travail et le secret des affaires, et il n’est pas la peine d’en rajouter à ce point.
J’essaie d’être assez strict là dessus mais c’est souvent assez difficile à faire amender.
J’essaie par contre au moins de refuser la double contrainte. Je ne peux pas avoir pour rôle de communiquer à l’extérieur (ce qui est probablement le cas sur un poste de direction ou management informatique, où au minimum on vous demandera de partager des informations lors de recrutements) tout en ayant une interdiction totale et absolue de communiquer quoi que ce soit.
À minima j’essaie donc de faire préciser explicitement — idéalement dans la même clause, à défaut dans les missions — que j’ai un rôle de communication extérieure qui demande un certain degré d’autonomie dans ce que je peux avoir à dire.
Mobilité et réversibilité du télétravail
Là c’est assez simple : Étes-vous d’accord pour vous déplacer là où l’indique le contrat de travail, pour les durées indiquées ou de façon permanente le cas échéant ?
Si non, c’est à faire modifier. Si l’employeur tient à vous imposer une zone large malgré votre opposition, c’est peut-être un bon signe de sa façon de voir le salarié.
Même chose pour la réversibilité du télétravail. Si le télétravail est un élément essentiel, ce doit être indiqué comme tel et pas comme un élément sur lequel l’employeur peut revenir. Et, s’il y a une réversibilité, elle ne doit pas être à l’autre bout de la France.
Si vous voulez éviter l’arbitraire, vous pouvez aussi tenter de faire ajouter des conditions pour que les mobilités ne se fassent qu’à l’occasion du déplacement de toute l’équipe, ou de tout le bureau, et pas sur des critères individuels.
Temps de travail
Les probabilités qu’on modifie les temps de travail uniquement pour vous sont extrêmement faibles mais ça mérite d’en parler quand même.
Peut-être qu’ils ne proposent pas de RTT mais sont en réflexion pour le faire et que vous pourriez être un premier contrat pour ça, ou que votre rôle / position pourrait le justifier, ou qu’on peut vous assurer par contrat une autorisation d’un certain nombre de jours de congés sans solde.
Missions
J’en parle en dernier parce que c’est ce à quoi on pense tout le temps et qui ne me semble pas forcément le plus important.
Toutefois : Si une mission vous gêne, faites la enlever. Si vous voulez faire quelque chose (recrutement, communication extérieure, architecture, que sais-je…), faites le ajouter.
Autres ajouts
Autant faire modifier des choses n’est pas toujours aisé, autant en faire ajouter l’est beaucoup plus qu’on ne le croit.
On vous parle de congés sans soldes ? Faites-le écrire. On vous parle de formations ou de conférences ? Faites-le écrire. On vous parle d’augmentation au bout d’un ou deux ans ? Faites-le écrire.
Écrire ce qui est évident ou déjà acté ne coûte rien à personne et ça offre toujours un peu de garanties au cas où le contexte change dans la direction de l’entreprise.
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