Dieu a dit : il y aura des hommes blancs, il y aura des hommes noirs, il y aura des hommes grands, il y aura des hommes petits, il y aura des hommes beaux et il y aura des hommes moches, et tous seront égaux ; mais ça sera pas facile… Et puis il a ajouté : il y en aura même qui seront noirs, petits et moches et pour eux, ce sera très dur !
Coluche
Dire que nous ne sommes pas en méritocratie c’est un peu enfoncer les portes ouvertes. Si nous travaillons à l’égalité des chances, si ce travail est indispensable et utile, ce n’est qu’un petit pansement sur une jambe de bois.
Nous sommes très loin de compenser les inégalités géographiques, patrimoniales, culturelles, sociales, ou les discriminations diverses et variées. La réalité c’est que le critère premier de la réussite est la chance.
Mon problème avec la méritocratie est toutefois plus profond.
Méritocratie : Hiérarchie sociale fondée sur le mérite individuel.
Dictionnaire Le Robert
On nous vend la méritocratie comme une recherche de société juste et morale fondée sur le mérite individuel mais notre application du concept n’est fondée ni sur le mérite ni ce qui est juste, même théorie.
L’ouvrier à l’usine en conditions difficile « mérite »-t-il moins que le cadre supérieur standard ?
La personne avec un handicap mental « mérite »-t-elle moins que le génie avec des compétences intellectuelles supérieures ?
Celle qui a du veiller sur ses proches depuis le collège, y passer des jours et ces week-ends, subvenir à leurs besoins tôt, « mérite »-t-elle moins que celle qui a pu investir dans des études et développer son capital intellectuel/culturel ?
La personne en chaise roulante depuis qu’elle a été renversée sur la route ou le sportif qui s’est cassé quelque chose à l’entrainement « méritent »-t-ils moins que ceux qui continuent leur carrière ?
La personne qui par vocation a choisi d’être infirmier pour soigner en dispensaire ou prof en école primaire pour enseigner à ceux qui sont en zone difficile, « mérite »-t-elle moins que celle qui a choisi de devenir chirurgien ou professeur d’université ? ou que celle qui a choisi de devenir trader en banque, haut fonctionnaire, député, chef d’entreprise ou cadre supérieur ?
Celle qui a vécu une mésaventure amoureuse ou a simplement merdé une année au niveau entre lycée et le début des études supérieures « mérite »-t-elle moins que celle qui l’a vécu 10 ans après une fois le chemin de carrière pris ?
La personne qui a erré entre 10 et 30 ans « mérite »-t-elle moins que celle qui errera entre 50 et 70 ans ?
Croire dans le mérite permet de mieux dormir le soir en se disant qu’on est là où on en est parce qu’on le mérite, qu’on a fourni des efforts pour ça. Implicitement, si quelqu’un galère c’est en fait un peu sa faute quand même ; s’il le voulait il pourrait réussir à s’en sortir en faisant des efforts et en le méritant.
Bon, ça permet de dormir la nuit si effectivement vous êtes en bonne position dans la société, sinon c’est tout le contraire — mais sinon c’est de votre faute et vous n’avez qu’à lâcher cet écran et aller bosser à l’usine pour vous en sortir, vous suivez ?
Tout au plus pourrait-on tendre en théorie vers une compétençocratie ou une productivocratie, ce qui n’a déjà rien a voir mais qui n’est même pas forcément souhaitable moralement et encore moins atteignable en pratique.
Et même alors, s’il y a trois places sur le podium, le quatrième ne mériterait-il pas lui aussi d’avoir une place, fut-elle plus basse ?
Dit autrement : Notre société se base sur une hiérarchie. Être celui qui mérite le moins ne veut pas dire qu’on mérite de galérer dans la vie. Ce serait mélanger la valeur absolue avec la valeur relative. Le concept même de méritocratie invisibilise ce problème en faisant croire que la hiérarchie justifie la condition déplorable de ceux qui sont en bas. Rien n’est moins évident.
Dire à quelqu’un qu’il peut s’en sortir par le mérite ne répond pas à ça puisque c’est justement une hiérarchie. On peut mériter plus que le voisin, et donc passer au-dessus. Dans ce cas c’est le voisin passera en-dessous. Peu importe les efforts et le mérite, notre hiérarchie en laissera quand même au fond du trou.
Vouloir une méritocratie c’est vouloir une hiérarchie sociale. Est-ce que je veux vraiment une hiérarchie sociale ? Est-ce que je crois que certains doivent ou méritent d’être au-dessous des autres ?
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