[Le député souhaite] généraliser « la consultation publique en ligne, par l’internet, sur les textes de loi avant leur examen par le Parlement », comme le rapporte nos confrères de NextInpact.
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Le député assure qu’« En assurant la dose supplémentaire de participation et de transparence que permet le numérique dans notre démocratie représentative, la consultation publique par l’internet peut contribuer à retisser le lien de confiance distendu – notamment dans l’intervalle entre les élections – entre représentants et représentés ».
Mais quelle bêtise… C’est voir à quel point même nos députés comprennent la démocratie (c’est à dire très peu). Dommage parce que je suis convaincu que l’intention est bonne.
Si votre première réponse est « à quoi il sert alors mon député si je donne mon avis directement ? » vous êtes sur la bonne voie.
Aujourd’hui nous avons une démocratie représentative. Le député représente le peuple, faute de savoir efficacement faire discuter et voter le peuple dans son ensemble, à plein temps (*).
Bref, le député vote et débat au nom du peuple.
Si on savait consulter le peuple sur chaque projet de loi, d’une façon qui soit un minimum représentative (disons au moins autant que l’est notre Assemblée nationale, c’est à dire à la marge), autant lui laisser le pouvoir de décision.
Ce serait même génial : avoir des représentants pour préparer et discuter des textes, trouver le bon équilibre et le compromis qui a du sens – difficile de faire ça à 70 millions de personnes, surtout qu’entrer dans la complexité des textes demande du temps – mais laisser le peuple pour voter et décider.
Là je dis OK. Ça serait d’ailleurs logique. Aujourd’hui les députés votent peu, et quand ils le font c’est essentiellement en suivant les consignes du parti. Ils l’expliquent d’ailleurs très bien quand on leur reproche leur absence dans l’hémicycle : leur vrai travail efficace se fait avant, ailleurs. Prenons-les au mot.
Vous l’avez deviné, ce n’est pas ce qui est proposé. Retirer le pouvoir aux députés et le remettre au peuple ? quand bien même les députés ne seraient qu’une chambre d’enregistrement et ne s’en serviraient qu’épisodiquement, jamais ils n’accepteront.
Non, ils veulent consulter. Sans représentativité claire, avec mille façons de récupérer un résultat biaisé (**), et pour un rendu volumineux, complexe et coûteux en temps à interpréter.
Par contre, quand bien même la consultation marquerait une demande évidente et très explicite, ils n’auraient aucune obligation de la suivre. On l’a d’ailleurs vu avec la loi sur le numérique qui a inauguré cette idée de consultation préalable.
Le peuple débat, l’élite décide. On nous vend de la démocratie participative. S’il y a bien du participatif – c’est à dire qu’ils consentent à nous laisser participer, attention à ne pas confondre avec collaboratif – il n’y a pas vraiment là de démocratie. L’élite qui décide ce que débat le peuple, c’est même pile le contraire.
Certains diront que c’est toujours mieux qu’actuellement. Je ne suis pas d’accord. Aujourd’hui les députés peuvent déjà consulter la société. Certains ne s’en privent pas. On l’a d’ailleurs justement fait en grand avec la loi sur le numérique.
En l’instaurant en règle, surtout en le faisant avant les débats au parlement, on instaure clairement que le rôle du député n’est plus de travailler la loi mais bien de juger et modifier ce qu’a produit le peuple. Dérangeant, et pas qu’un peu.
(*) ok, en pratique la motivation d’origine est probablement plus liée à la bourgeoisie d’alors, la non-confiance dans le peuple et plein de choses comme ça. Contentons-nous de la théorique pour aujourd’hui.
(**) la référence est la consultation de la loi sur le numérique, facile à biaiser par tel ou tel groupe qui viendrait en masse, sans aucune garantie de représentativité, et absolument aucune garantie de non-manipulation des résultats par le gouvernement – le législatif se baserait sur une consultation du peuple qui pourrait techniquement être totalement manipulée par l’exécutif, bonjour le système démocratique.
Ça pouvait avoir du sens sur une loi comme le numérique (à discuter), c’est totalement inutilisable sur des sujets clivants comme le nucléaire ou l’immigration, impossible à analyser sur des sujets complexes comme la fiscalité, extrêmement dangereux sur des sujets de niche ou un lobby pourrait tout faire basculer.
Quelqu’un a déjà vu les consultations obligatoires sur les PLU ou sur le nucléaire servir à quelque chose ? pourtant là c’est du local, sur une communauté restreinte avec des élus en prise directe. Imaginez la chose avec un pays de 70 millions de personnes et des élus totalement hors sol.
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