Catégorie : Télétravail

  • Inves­tir dans le télé­tra­vail

    Un des conseils si vous voulez tenter l’aven­ture du télé­tra­vail : Inves­tis­sez !

    Entre­prises

    Oui, il faut un ordi­na­teur portable effi­cace. Oui ça veut dire inves­tir plus que pour un PC fixe au bureau. Ça veut même dire inves­tir encore plus parce que lancer Zoom ça prend en soi des ressources non négli­geables.

    Je ne dis pas tout. L’or­di­na­teur portable c’est non seule­ment l’ou­til de travail du sala­rié mais aussi la seule repré­sen­ta­tion de l’en­tre­prise qu’il aura en face de lui. Exit les locaux et les autres employés, il aura cet ordi­na­teur portable et tout passera à travers.

    L’or­di­na­teur rame ? C’est comme si vous lais­siez des souris ou des fuites au plafond dans vos locaux. Chaque frus­tra­tion liée à cet outil ce sera un coup de canif dans l’image de l’en­tre­prise, sa volonté de s’y impliquer ou d’y rester, et son envie de faire des efforts en restant posi­tif.

    Trois para­graphes et ce n’est pas assez : Inves­tis­sez dans ce foutu ordi­na­teur portable. Mettez-y deux fois le prix que vous y auriez mis, renou­ve­lez-le aussi plus souvent.

    Et pour­tant, ce n’est pas tout. Ache­tez un écran secon­daire, grande taille et de qualité, même s’il n’y en avait pas au bureau.

    Ache­tez aussi une vraie chaise ergo­no­mique réglable. Pas celle à 100 €, une vraie. Là aussi, plus chère que dans vos locaux parce que le sala­rié aura poten­tiel­le­ment moins de raison de bouger de sa chaise pendant les heures de travail.

    Ajou­tez-y un bon casque et/ou un vrai micro qui permettent de commu­niquer sans bruit para­site. S’il y a un peu de bruit dans la rue ou chez les voisins, inves­tis­sez carré­ment dans un casque à réduc­tion de bruit active, les modèles effi­caces à 300 euros et plus.

    Si vous avez des sala­riés qui doivent réflé­chir ensemble, propo­sez-leur aussi un tableau blanc et une caméra grand angle pour parta­ger ce tableau blanc.

    Si on veut aller jusqu’au bout on peut même propo­ser un bureau assis-debout élec­trique.

    Oh ! et si une part impor­tante de l’ac­ti­vité se passe au télé­phone ou si des tiers ont besoin de les appe­ler, payez-leur un télé­phone et un numéro diffé­rent de leur person­nel. Oui c’est impor­tant.

    Oh, et je n’ai pas dit ? Finan­cez la moitié de l’ac­cès Inter­net, ainsi que la taxe foncière, du loyer, de la taxe d’ha­bi­ta­tion et des factures élec­tri­cité et chauf­fage au pro-rata de la place rapport à la place utili­sée dans le loge­ment.

    Déjà parce que c’est légi­time, mais aussi parce que ça peut inci­ter certains à dédier au bureau un espace dans le loge­ment, voire emmé­na­ger là où ils auront un tel espace.

    Croyez-moi, l’in­ves­tis­se­ment vaut le coup (et ce type de finan­ce­ment n’est pas soumis aux coti­sa­tions sociales).

    Sala­riés

    Je ne devrais pas le dire parce que ça peut inci­ter des entre­prises à ne pas inves­tir mais… Si l’en­tre­prise ne vous paye pas tout ce qui est plus haut et que vous avez le salaire qui vous le permet : Faites-le !

    Faites-le sur vos deniers ou chan­gez d’en­tre­prise pour une qui porte atten­tion aux condi­tions de travail des sala­riés ;-)

    J’in­siste parti­cu­liè­re­ment sur la connexion inter­net : Oubliez le wifi pourri. Si votre wifi est trop mauvais, utili­sez une connexion câble, éven­tuel­le­ment un boitier CPL si vous avez besoin.

    Au delà, réser­vez-vous un espace pour le bureau. Un lieu avec de la lumière natu­relle, une lumière élec­trique blanche et non jaune, un mini­mum d’es­pace, et si possible une porte qui ferme s’il y a d’autres personnes dans la maison.

    Ça peut être la cuisine, peu importe, mais évitez la chambre ou le salon. Diffé­ren­ciez là où c’est possible la pièce de repos et la pièce de travail.

    Oh ! et n’es­pé­rez pas gardez vos enfants pendant le télé­tra­vail. Niet, jamais, ou pas autre­ment qu’en mode urgence pour la jour­née le temps de trou­ver une solu­tion. En fait un bon critère pour­rait être « ne gardez pas vos enfants pendant le télé­tra­vail si vous ne les auriez pas emmené au travail ».

    Mais, Éric, ça coûte un pognon de dingue !

    Vous n’ac­cueille­riez pas vos sala­riés dans un coin non aménagé avec une juste table de cantine quelques tabou­rets et aucune sépa­ra­tion phonique avec vos salles de réunion. Pourquoi le faire avec des sala­riés en télé­tra­vail ?

    Côté entre­prise en comp­tant 3 ans de renou­vel­le­ment pour l’or­di­na­teur et le petit élec­tro­nique, 6 ans pour le reste, en prenant tout en très haut de gamme et premium, j’ar­rive à un amor­tis­se­ment… entre 800 et 1600 € hors taxe par an.

    Oui, on en est là. Moins de 1 500 € par an. Autant dire rien.

    Sur un sala­rié en présence, rien que le rembour­se­ment de la moitié de ses abon­ne­ments trans­port et le verse­ment trans­port addi­tion­nel auprès de la collec­ti­vité doivent arri­ver à peu près à ce niveau. Ne parlons même pas du coût de l’es­pace de vos bureau, des consom­mables, du mobi­lier, de l’en­tre­tien, des services géné­raux, de l’élec­tri­cité, de la sécu­rité, des assu­rances. Vous pour­riez payer 2x ça et faire encore des écono­mies.

    À ces niveaux là vous pour­riez même dire à vos sala­riés de prendre ce qu’ils veulent sans vraie limite et leur lais­ser comme un avan­tage en nature dans le solde de tout compte à leur départ.

  • Télé­tra­vail progres­sif

    Je n’aime pas la pola­ri­sa­tion autour du télé­tra­vail.

    C’est facile de se moquer et de trai­ter d’idiots tous ceux qui ne lâchent pas toutes les vannes. La réalité est, comme toujours, bien plus complexe.


    Il y a des socié­tés qui ne veulent pas de télé­tra­vail autre­ment que ponc­tuel, et c’est tout à fait respec­table.

    Parfois c’est juste un choix. Certains préfèrent sortir le soir avec les collègues, faire des jeux de société, ou être sur place ensemble. Ça ne dit pas que le télé­tra­vail est mal, juste tout le monde ne souhaite pas vivre ainsi.

    Vouloir complé­ter une équipe hors du télé­tra­vail n’est pas plus illé­gi­time que complé­ter une équipe en télé­tra­vail.


    Parfois les entre­prises ne savent simple­ment pas encore tout, et en ont conscience. Passer du présen­tiel au télé­tra­vail c’est quand même une sacré révo­lu­tion.

    Elles peuvent préfé­rer y aller par étapes, se confron­ter aux problèmes au fur et à mesure avec un impact limité.

    Il y a la stra­té­gie de commen­cer par du télé­tra­vail partiel et celle de limi­ter le télé­tra­vail total à certains sala­riés plus auto­nomes, voire qui ont déjà une première expé­rience dans une entre­prise précé­dente.

    J’ai parfois dit à des candi­dats « ici le télé­tra­vail on connait déjà, ce n’est pas impro­visé », parce qu’ils prennent bien moins de risques ainsi. Ça ne m’étonne pas que des entre­prises aient la même poli­tique dans l’autre sens, et préfèrent commen­cer avec des sala­riés qui savent déjà.

    Vous pouvez penser que c’est de la défiance, j’y vois de la sagesse. Celles qui me font peur sont plutôt celles qui se lancent sans savoir, sans réflé­chir, sans comprendre. Ce sont ces dernières qu’il faut éviter de rejoindre.


    Il ne suffit pas de dire « ok, à partir de demain on fait du télé­tra­vail ». Ce serait aussi simpliste que dange­reux.

    Du point de vue de l’en­tre­prise on parle de risques psycho­so­ciaux. Comment évite-t-on que quelqu’un ressente de l’iso­le­ment ? Comment évite-t-on qu’il se mette de lui-même la pres­sion ? Comment l’aide-t-on à gérer la sépa­ra­tion pro-perso quand il travaille de chez lui ? Comment détec­ter les prémisses d’un burn-out ?

    Comment commu­niquer dans cette nouvelle orga­ni­sa­tion ? Avec quel outil ? quelles pratiques ? Quelle gestion des noti­fi­ca­tions ? Comment sait-on à quel moment on peut inter­agir avec une personne et à quel moment on risque d’em­pié­ter sur sa vie perso quand on ne peut plus se baser sur la présence au bureau ?

    Comment former les mana­gers à une nouvelle approche et de nouveaux réflexes ? Comment gère-t-on la rela­tion avec son mana­ger en visio et par écrit ? Comment faci­li­ter l’in­té­gra­tion des nouveaux ? L’or­ga­ni­sa­tion est-elle iden­tique pour les sala­riés auto­nomes et ceux qui font de l’exé­cu­tion ? La culture infor­ma­tique est-elle suffi­sante dans tous les dépar­te­ments ? Comment les dépar­te­ments basés sur l’ému­la­tion locale vont-il chan­ger de culture ? Comment évite-t-on de tout faire explo­ser si certains groupes n’avancent pas vers le télé­tra­vail à la même vitesse et génèrent des jalou­sies ou des frus­tra­tions ?

    Comment assu­rer une instal­la­tion correcte au sala­rié ? Faut-il finan­cer écran, fauteuil et bureau ? si oui comment ? avec quelle poli­tique d’uti­li­sa­tion person­nelle vu que le sala­rié ne voudra pas forcé­ment tout dupliquer chez lui ? quelle poli­tique si c’est une utili­sa­tion person­nelle qui casse quelque chose ? Faut-il impo­ser un débit de connexion mini­mum ? une pièce sépa­rée des enfants le mercredi après-midi ? Faut-il finan­cer des espaces de cowor­king ?

    Comment gère-t-on les rencontres une fois de temps en temps dans l’an­née ? Avec quel budget pour les dépla­ce­ments ? Faut-il pour cela impo­ser un temps de trajet maxi­mum pour faci­li­ter ces dépla­ce­ments ?

    Admi­nis­tra­ti­ve­ment, se limite-t-on à la France ? Sinon quelles sont les règles et les impacts ? Un français peut-il télé­tra­vailler ponc­tuel­le­ment depuis ailleurs que chez lui ? depuis l’étran­ger ? qu’en dit l’as­su­rance ?

    Que fait-on si un sala­rié vit fina­le­ment mal le télé­tra­vail ? Faut-il un bureau local pour ceux-là ? Que faire avec ceux qui ne s’adaptent pas au télé­tra­vail des autres ? Comment évite-t-on de faire des groupes étanches entre ceux en télé­tra­vail et ceux en local ? Comment est-ce qu’on quali­fie l’adap­ta­tion au télé­tra­vail d’un nouveau colla­bo­ra­teur lors de sa période d’es­sai ?

    Et du point de vue du sala­rié, comment gérer les livrai­sons de colis qui inter­rompent une réunion impor­tante ? Comment gérer l’en­fant qui pleure ou qui solli­cite sur les horaires de travail ? Faut-il d’ailleurs impo­ser quelques heures de présence communes ou être plus souple ? Que fait-on si la connexion saute ? Sait-il régler son débit pour éviter que l’ado­les­cent à côté ne prenne toute la bande passante ?


    Honnê­te­ment il y a des réponses à tout ça. Il ne s’agit pas de dire que ce sont des problèmes bloquants ou que le télé­tra­vail est fonda­men­ta­le­ment plus problé­ma­tique que la présence.

    Ce sont par contre des enjeux qui ne s’ignorent pas, ou qui ne devraient pas s’igno­rer dans la tran­si­tion.

    Malheu­reu­se­ment ça ne s’in­vente pas forcé­ment. Une partie des réponses dépend de choix très subjec­tifs et on ne peut ni ne doit se conten­ter de suivre un livre ou un consul­tant.


    Bref, critiquer les entre­prises qui ne font pas leur révo­lu­tion en un claque­ment de doigts c’est espé­rer que ces entre­prises jouent aux appren­tis sorciers.

    S’il y a des entre­prises à éviter ce ne sont pas celles qui y vont avec prudence mais réelle ouver­ture, ce sont celles qui y vont sans réflé­chir, avec un big bang naïf.

    Ça peut très bien se passer et tomber en marche sans trop y penser, surtout dans une petite struc­ture, mais ça peut aussi merder grave­ment avec des consé­quences irré­pa­rables autant pour l’en­tre­prise que pour les sala­riés. Les entre­prises recom­man­dables cher­che­ront à anti­ci­per un peu.

  • Second retour sur le télé­tra­vail

    J’en avais fait un après trois mois. En voici un autre au bout de deux ans et quelques.

    Le fond n’a pas beau­coup changé alors je vous incite à d’abord lire le billet précé­dent. On y gagne en temps de trajet, en place. On change les inter­ac­tions sociales et les temps de respi­ra­tion. Ça joue autant sur le profes­sion­nel que sur le person­nel.

    Le résumé déci­deur après deux ans : Oui ça fonc­tionne. Non ce n’est pas pour autant toujours aussi idéal que certaines lectures le laissent penser. Rien d’éton­nant cepen­dant, le monde idéal n’existe pas. Après, savoir si c’est une bonne chose pour vous, ça va dépendre de vous.

    Le confort local

    Essen­tiel­le­ment j’ai changé mon bureau l’an­née dernière. J’ai un bureau assis-debout, essen­tiel pour les trop longues visio-confé­rences ou pour réflé­chir sans clavier. J’ai eu une vraie chaise de bureau pour rempla­cer ma chaise de cuisine droite en bois. J’ai aussi une enceinte de bonne qualité avec de la musique derrière moi quand j’en ai besoin pour me concen­trer. J’ai aussi pu bran­cher une confi­gu­ra­tion à trois écrans, et on y prend goût.

    Enfin, le télé­tra­vail c’est la capa­cité à faire une sieste de 20 minutes quand c’est néces­saire, ou de prendre 1h30 sur la pause de midi quand je ne tiens pas. À une période l’an­née dernière, je pense que j’au­rais dû me mettre en arrêt mala­die longue durée si je ne l’avais pas pu. À la place je l’ai rela­ti­ve­ment bien vécu et ça a été rela­ti­ve­ment trans­pa­rent pour mon employeur. Gagnant pour les deux.

    Bref, je suis encore et toujours convaincu que le télé­tra­vail doit s’ac­com­pa­gner de confort. C’est d’ailleurs une des moti­va­tions que j’en­tends fréquem­ment sur le télé­tra­vail : Avoir un vrai bureau et pas une place de poulailler dans l’open-space. À vous d’y donner corps, et ça peut faire toute la diffé­rence.

    Les entre­prises qui veulent fonc­tion­ner en télé­tra­vail feraient bien de finan­cer du maté­riel de façon massive (poste infor­ma­tique et écran, mais aussi bureau, chaise de travail, lampe, webcam addi­tion­nelle, tableau blanc, etc.) plutôt que cher­cher à écono­mi­ser sur ces postes budgé­taires.

    Peut-être que si les entre­prises présen­tielles travaillaient sur le confort local dans leurs bureaux, les ques­tions de télé­tra­vail se pose­raient diffé­rem­ment.

    L’iso­le­ment

    L’iso­le­ment joue très fort pour moi. Si j’avais un premier ressenti au bout de trois mois, ça prend toute son ampleur avec le temps.

    Je suis très intro­verti dans ma vie person­nelle. Je sors peu pour autre chose que de l’uti­li­taire, et encore moins depuis que j’ai un enfant à la maison. J’ap­pré­cie quand ça arrive mais je ne sais pas main­te­nir correc­te­ment les liens pour le montrer, ou m’or­ga­ni­ser pour prendre ces initia­tives. Avec le télé­tra­vail, désor­mais mes inter­ac­tions sociales de la semaine se limitent trop souvent à quelques bonjour quand j’amène mon fils à l’école.

    Ne voir que ma chambre, mon bureau, les tâches ména­gères et éduca­tives, ma femme et mon fils, ça pèse. Beau­coup. Les trajets profes­sion­nels à Paris une fois tous les deux mois sont presque une respi­ra­tion. Ils me permettent de voir les collègues mais sont aussi le prétexte à revoir les amis de là bas.

    Vous pouvez dire que c’est lié à mon orga­ni­sa­tion et à ma façon de vivre (*). C’est certai­ne­ment vrai mais il n’en reste pas moins que, dans ce contexte, l’iso­le­ment généré est diffi­cile à vivre. Le fait d’avoir un bureau avec des collègues en face à face, des pauses voire des jeux ou des discus­sions locales au détour du bureau, ça m’ap­por­tait quelque chose que je n’ai plus.

    Est-ce que le confort contre­ba­lance l’iso­le­ment ? La réponse est loin d’être tran­chée pour moi — et ne concerne que moi et ma situa­tion parti­cu­lière, vous aurez votre propre réponse en fonc­tion de votre propre contexte.

    Mon idéal serait proba­ble­ment un système de télé­tra­vail partiel une semaine sur deux ou plusieurs jours par semaine, avec quelques moments de rendez-vous fixes pour tout un ensemble de collègues.

    Le mana­ge­ment

    Je vois beau­coup de retours faire porter la respon­sa­bi­lité de la réus­site ou de l’échec du télé­tra­vail sur le mana­ge­ment. J’adhère à beau­coup de ce qui s’y dit sur la confiance, l’au­to­no­mie et la respon­sa­bi­li­sa­tion mais je trouve la conclu­sion un peu facile, et ne reflé­tant que rare­ment une expé­rience de mana­ger.

    Le télé­tra­vail me demande de repen­ser mon rôle, la façon dont je le mène. Factuel­le­ment, mon boulot en tant que mana­ger change beau­coup, mais s’il change ce n’est pas sur les ques­tions d’au­to­no­mie et de respon­sa­bi­li­sa­tion (qui sont dans mes orga­ni­sa­tions cibles qu’il y ait télé­tra­vail ou pas).

    Si ça change c’est qu’il est bien plus diffi­cile de sentir des signaux quand quelqu’un commence à ne plus être à l’aise. Il est de même diffi­cile de se rendre compte que telle ou telle remarque (de moi ou d’un autre) a été mal reçue et qu’il me faut inter­ve­nir. Il est tout autant diffi­cile de voir si tel ou tel chan­ge­ment est posi­tif ou néga­tif tant qu’il n’y a pas de forte douleur.

    Non seule­ment on ne voit que le formel, l’écrit et le résul­tat, mais en plus on agit par ces mêmes canaux. La petite discus­sion à la machine à café ne prend pas forme aussi faci­le­ment : C’est soit de l’écrit soit de la visio. Les rendez-vous 1–1 sont d’au­tant plus essen­tiels avec le télé­tra­vail.

    Je parle de ma posi­tion de mana­ger mais ça fonc­tionne dans les deux sens : Vu que je conçois mon rôle de mana­ger comme au service des autres, si c’est plus diffi­cile pour moi alors ça a aussi des impacts néga­tifs sur l’aide que je peux appor­ter, et donc sur les tiers non-mana­gers. J’ima­gine plus facile de perdre quelqu’un et de s’en rendre compte trop tard, et plus diffi­cile de résoudre un désa­li­gne­ment (*).

    Quand tout va bien c’est parfait et le télé­tra­vail ne génère aucune problé­ma­tique signi­fi­ca­tive. Quand quelque chose n’est pas idéal, le télé­tra­vail à temps plein complexi­fie l’hu­main, des deux côtés, et peut démul­ti­plier les problèmes ou les diffi­cul­tés (*).

    Orga­ni­sa­tion d’en­tre­prise

    Je ne l’ai pas abordé mais je n’ai d’ex­pé­rience que pour des équipes tech­niques de bon niveau et impliquées. Tel que je le vois, le télé­tra­vail n’est adapté que pour des gens diri­gés à la tâche d’exé­cu­tion sans aucune lati­tude ni aucun aléas (on peut donc simple­ment mesu­rer l’avan­ce­ment) soit des gens en totale respon­sa­bi­lité et auto­no­mie (indi­vi­duel­le­ment ou collec­ti­ve­ment).

    Quand je parle de respon­sa­bi­lité et d’au­to­no­mie je le prends avec un sens très étendu. Côté orga­ni­sa­tion, l’es­sen­tiel des problèmes ressen­tis viennent de situa­tions où les opéra­tion­nels n’étaient (ou ne se sentaient) pas libres de prendre les déci­sions qu’ils pensaient perti­nentes, ou qu’ils devaient justi­fier leur travail après-coup (le temps passé, les déci­sions prises, les aléas, la qualité obte­nue).

    La posi­tion inter­mé­diaire, à la fois donner des respon­sa­bi­li­tés et de la liberté mais pas toute l’au­to­no­mie pour faire les choix ou les comprendre, est une source de frus­tra­tion perma­nente. C’est déjà vrai sur une orga­ni­sa­tion locale (ne faites pas ça) mais ça s’y rattrape en partie par la proxi­mité. En télé­tra­vail les problèmes induits m’y semblent démul­ti­pliés (*).

    Le quoti­dien

    Ce n’est pas un vrai problème mais c’est quand même une surprise pour moi alors je le signale : Même dans une entre­prise tota­le­ment en télé­tra­vail depuis sa nais­sance il y a une demie-douzaine d’an­née, on perd encore du temps signi­fi­ca­tif avec les problèmes de son et de vidéo, on oublie parfois de faire de l’écrit, etc.

    De même, si on est plus au calme, il est plus fréquent que au moins un des inter­ve­nants ait des travaux chez lui, ses voisins ou dans la rue, une connexion qui tombe, un wifi taquin, un maté­riel en panne sans pièce de rechange, un démar­cheur qui sonne à la porte, un espace de cowor­king trop bruyant et aucune cabine d’iso­le­ment de dispo­nible, etc.

    Bref, les petits soucis du quoti­dien sont tout autant là en télé­tra­vail.

    Enfin, certains aiment bien l’asyn­chrone et l’écrit (moi le premier), mais je n’ai pas trouvé de solu­tion effi­cace pour rempla­cer les discus­sions autour d’un tableau blanc. Il existe des logi­ciels pour ça, mais sauf à payer à chacun une tablette avec stylet, ça ne sera jamais la même chose. Les réunions d’ar­chi­tec­ture sont clai­re­ment un point où on perd très nette­ment en effi­ca­cité.

    Encore une fois : Ça fonc­tionne mais rien n’est magique. Certains vous diront que c’est toujours mieux qu’une entre­prise qui n’a pas assez de salle de réunion. Savoir si c’est mieux qu’une entre­prise qui a des espaces adéquats, ça va être un choix plus person­nel.


    (*) Oui, moi aussi j’ai­me­rais une situa­tion idéale, où tout est parfait, où tout le monde est aligné, où la culture est parfai­te­ment parta­gée, où les désac­cords sont démi­nés, où il y a bien­veillance et colla­bo­ra­tion à chaque instant de la vie, où moi-même j’ai une hygiène de vie parfaite, pas de problème de santé ni de freins sociaux.

    Les retours qui disent que le télé­tra­vail ne pose aucun problème tant que le contexte est idéal et que sinon c’est la faute des problèmes autour, j’ai l’im­pres­sion d’y lire un « quand ça ne fonc­tionne pas c’est la faute des autres ».

    En pratique tout n’est pas toujours parfait. Parfois c’est la faute de l’or­ga­ni­sa­tion, parfois de la culture, parfois d’un contexte non maitrisé ou d’une personne parti­cu­lière. Parfois on y peut quelque chose, parfois nos leviers d’ac­tion sont plus restreints ou plus long terme. Peu importe. Ça arrive et ça doit être pris en compte. Une orga­ni­sa­tion qui ne fonc­tion­ne­rait que dans un contexte idéal est une mauvaise orga­ni­sa­tion.

    Du coup oui, je me permets de signa­ler ce qui est plus diffi­cile même si le problème n’exis­te­rait pas dans une situa­tion tota­le­ment idéale par ailleurs. J’ai tendance à dire qu’en tant que mana­ger c’est même mon boulot de penser à ça et d’y travailler.

  • Petit retour sur le télé­tra­vail

    Je fais du télé­tra­vail depuis presque trois mois désor­mais. Il est peut-être temps pour un retour sur expé­rience, non ?

    Spoi­ler pour les pres­sés : Je suis mitigé.

    J’y ai gagné

    Un vrai bureau assez profond, pas de circu­la­tion autour de moi, personne pour voir mon écran, de la lumière natu­relle et un agen­ce­ment pour qu’elle ne m’éblouisse pas, un chauf­fage suffi­sant que je peux régler loca­le­ment…

    Ça devrait être un mini­mum partout mais ça ne l’est pas. Le faible inves­tis­se­ment dans les espaces de travail de la plupart des boites que j’ai croisé fait que c’est le premier point posi­tif qui me vient à l’es­prit.

    La fin des temps de trajet. Bien entendu, comparé à mes trajets Paris-Lyon le gain est énorme mais diffi­cile de consi­dé­rer que c’est lié au télé­tra­vail. Comparé à mon précé­dent boulot sur Lyon disons que j’y gagne peut-être 30 minutes par jour. C’est moins fantas­ma­go­rique que sur le papier parce que je mutua­li­sais mes trajets avec l’ac­com­pa­gne­ment du petit à l’école ou les courses du soir. Là je dois sortir exprès pour.

    C’est aussi diffi­cile

    Bosser de chez soi c’est avoir un bureau chez soi. J’y ai perdu la chambre d’ami et je ne m’y atten­dais pas. Rien n’a changé, il y a toujours eu un bureau encom­bré, et on dépliait le canapé-lit au besoin. Sauf que désor­mais je dois dire aux amis de me lais­ser la pièce avant 9h le matin et de ne pas y reve­nir avant 19h le soir, et de ne pas lais­ser trai­ner leurs affaires person­nelles entre les deux parce que j’oc­cu­pe­rai la pièce. Pas glop.

    Ok, j’y ai gagné en temps de trajet mais pendant ce temps je lisais, je regar­dais des séries, parfois j’avais la tête encore au boulot ou au contraire j’an­ti­ci­pais sur le programme de la maison, parfois je me repo­sais simple­ment la tête. Aujourd’­hui je passe du travail à la famille sans tran­si­tion et c’est inten­sif. Il me manque cruel­le­ment de ce sas de décom­pres­sion qu’é­tait le temps de trajet.  Limite si faire une marche dehors de dix minutes avant et après le travail rien que pour ça n’au­rait pas du sens.

    Les inter­ac­tions de travail sont aussi toutes plus complexes. Beau­coup passe à l’écrit et la visio pose beau­coup moins de diffi­cul­tés qu’an­ti­cipé. Tant que les gens ont un casque audio pour éviter l’écho et que tout le monde est à distance, ça va. Pour les réunions où une part signi­fi­ca­tive des colla­bo­ra­teurs sont dans une même salle de réunion locale, là par contre c’est très diffi­cile de se main­te­nir.

    Si la visio se passe bien, il faut toute­fois penser à la lancer et c’est là que ça pêche. Dans un même bureau on passe faci­le­ment voire l’autre pour discu­ter ou s’iso­ler dans une salle de réunion. Sans face à face on a tendance à rester plus long­temps à l’écrit avant de lancer la visio.

    On perd aussi la faci­lité de comprendre si le collègue est dispo­nible ou pas, s’il est d’hu­meur, quand est le bon moment pour parler. C’est au point ou si la personne n’est pas connec­tée je ne sais pas toujours si elle est en dehors de ses heures, si elle est concen­trée sur le projet, ou si elle est en congés et que ce n’est pas indiqué sur le calen­drier.

    La vraie diffé­rence, enfin, c’est surtout qu’on ne voit pas l’hu­meur des gens, qu’on n’a pas les discus­sions de machine à café, qu’on ne ressent pas la même chose. Le lien social est absent, ou presque.

    J’avais pensé que l’isole­ment social me pèse­rait moins qu’à d’autres. Je suis assez intro­verti, je parti­cipe peu à la machine à café (d’au­tant que je ne bois pas de café, je ne fume pas, je ne bois pas d’al­cool… mine de rien ça limite les prétextes). Et pour­tant… ne pas avoir parfois un délire dans le bureau entre deux collègues, une discus­sion passion­née à midi, un espace infor­mel le soir… ça manque beau­coup.

    La force de l’écrit et de la visio font qu’on y réserve le produc­tif. Il y a 8 ou 9 jour­nées d’équipes avec tout le monde sur Paris dans l’an­née pour créer du lien. C’est bien, c’est utile, mais ça ne remplace pas tout.

    Et le reste ?

    Et bien le reste ne change pas vrai­ment. Les infor­ma­ti­ciens sont déjà assez isolés. Je ne vois pas de pair program­ming mais j’ima­gine qu’on doit pouvoir monter des choses en ce sens. Il y a juste d’autres choses à faire avant.

    Idem pour les meetup et autres réunions de veille tech­nique. Ça devra prendre une forme diffé­rente, je ne peux pas vous dire laquelle aujourd’­hui mais je ne vois pas pourquoi on ne pour­rait pas trou­ver une forme adap­tée.

    Et les horai­res… Tout le monde fantasme sur les horaires et la liberté qui va avec. En réalité ça ne change pas grand chose là non plus. Si l’em­ployeur est à cheval sur les horaires au bureau il le sera sur la présence en ligne. S’il est plus cool il pourra l’être dans la même mesure pour du télé­tra­vail, pas forcé­ment beau­coup plus. Dans tous les cas on inter­agit avec des tiers, ce qui impose d’être connecté aux mêmes heures. Rien que le daily du matin cadre bien la jour­née.