Le sujet est lourd, et je sais que ma position va être difficile à comprendre pour ceux qui n’y ont jamais été confrontés.
Je vais quand même essayer parce que le sujet revient sur le tapis.
[L’euthanasie] touchera en premier les plus fragiles, les plus précaires, ceux qui si rien ne change seront atteints d’une maladie « en phase avancée » comme une sclérose en plaque ou un cancer et qui se sentant un poids pour leur proche (la culpabilité est une des composantes majeures de la dépression non pris en charge) préfèreront en finir de manière prématurée.
Alors oui, il serait temps qu’on évite de considérer la fin de vie comme une solution politique à l’absence de vie digne. Il y a effectivement un vrai danger à ce que ça puisse retarder la mise en œuvre des mesures fortes pour assurer des vies dignes.
Je ne minore pas ce danger, mais alors pas du tout. Si en plus on facilite certaines catégories particuliers comme les handicapés et les malades, le tout peut effectivement prendre un tour d’eugénisme.
Il s’avère qu’en parallèle, aujourd’hui cette position de prudence revient à interdire aux concernés une porte de sortie, à leur renier leur propre liberté de choix fondamentale, celle de continuer à vivre ou non. Entre temps ça revient à leur imposer de souffrir, faute d’être dans un monde idéal qui assure une vie merveilleuse à tous.
Si vous êtes convaincu avec un fort niveau de confiance qu’on va avoir ce monde idéal très rapidement, ok. Si c’est plus complexe que ça, vouloir restreindre les projets de fin de vie ne résout rien : vous retirez juste une option, soit disant pour le bien des tiers, mais en réalité pour tranquilliser votre propre bonne conscience.
Et même alors, chacun vit sa situation différemment. Toutes les assistances que vous imaginez ne changeront pas le choix de certains (et pas forcément ceux que vous imaginez, je ne parle pas forcément des gravement malades incurables ou des handicaps extrêmement lourds).
Vouloir du bien autres c’est une bonne chose, mais ne décidez pas pour eux, ne leur imposez pas les vôtres juste pour être à l’aise avec votre bonne conscience. Ils sont légitimes à faire leur propre choix, qui n’est pas forcément celui que vous jugez pertinent ou que vous espériez.
Je n’ai pas la solution idéale. J’aimerais bien. Mon vécu m’incite toutefois à ne pas fermer des portes faute d’avoir la solution idéale. C’est trop facile de le faire en n’ayant jamais été en position de réfléchir à ce choix pour soi ou pour ses proches.
Mon inquiétude sur le sujet n’est pas réellement « retarder la mise en œuvre des mesures fortes pour assurer des vies dignes.»… principalement parce que je ne crois pas un instant que ça ira plus vite sans le faire. Elle est beaucoup plus sur le fait que lorsqu’on est malade et hospitalisé, on est des enfants au yeux de certains personnels soignant et si on n’est pas hyper clair dans sa tête, on peut se laisser embarquer dans des trucs qu’on n’accepterait pas en temps normal. J’ai vu une infirmière pourrir un pote parce qu’il s’était enfermé dans sa chambre avec sa femme, et une autre «me gronder» parce que j’etait pas dans ma chambre à l’heure qu’elle considérait la bonne. On était un groupe de jeunes, ça nous a pas ébranlé. Mais les quelques patients qui sortaient du quatrième étage pour fumer des clopes et avec qui on discutait avait des mots assez dur sur comment ils trouvaient que les personnels soignant les considéraient. Bref, c’est confus, et j’ai pas souvent parlé des mauvais moment de mon hospitalisation. Mais pour résumer j’ai croisé des personnels soignant excellents, d’autres moins, mais le système de santé est un rouleau compresseur dont les KPI ne sont pas «la meilleure situation pour chacun d’entre nous» (ce qui au demeurant est normal et sain). Et ça va forcement entraîner des dérives qui seront difficiles à voir.
Quelque part, c’est un peu comme la rupture conventionnelle. C’est sain quand ça nous permet de quitter un employeur pour un projet personnel. Mais ça a aussi permit de pousser des gens à partir en ayant besoin d’appliquer moins de pression que pour les forcer à démissionner.
In fine j’aimerai beaucoup que lorsque la question se posera pour moi, je puisse avoir de l’aide pour un suicide apaisé. Et en même temps, je sais que si demain mon grand-père se retrouve en EHPAD, sa position sur son euthanasie sera directement lié à «est-ce que les personnels soignant lui font sentir qu’il est un poids pour eux et sa famille». Et ça m’angoisse grandement.
Donc effectivement c’est compliqué (nous voilà bien avancé :D )
Oh, et typiquement dans :
> C’est trop facile de le faire en n’ayant jamais été en position de réfléchir à ce choix pour soi ou pour ses proches.
moi, la partie «pour ses proches» m’angoisse énormément. Parce que toute la littérature et la déontologie en médecine est très claire sur le fait que la relation patient/docteur ne concerne que ces deux individus. Alors que dans les faits un certain nombre de praticiens se permettent de donner l’état de santé de leurs patients aux proches, voir même leurs demande leurs avis. Et ça me fait vraiment peur sur comment je serai traité lorsque je serai vieux.
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