« On n’est pas chez les fonctionnaires ! » (*)
Ceci est la mise à l’écrit d’une intervention aux conférences MiXiT fin avril 2024. Elle ne remplace pas l’enregistrement vidéo mais me permet de mettre quelques points plus en détail et en profiter pour placer quelques liens.
Forcément, parce que ça revient à faire un discours à l’écrit, c’est un peu long et pas très synthétique (ceci est une honteuse litote, préparez-vous). Je trouve ça aussi bien finalement : c’est une histoire à lire, pas une recette à suivre.
Préalable sur le sous-titre
J’avais fait passer des sondages en ligne en préparation de mon intervention. Seul un tiers d’entre vous préférerait être soumis une grille de salaire. La moitié a répondu « ça dépend », montrant une certaine défiance.
L’exemple de la fonction publique est revenu plusieurs fois, présenté comme un repoussoir. J’ai repris cette réaction dans mon sous-titre, au risque de propager un poncif sur les fonctionnaires.
(*) Ce sous-titre est une erreur et je la regrette.
La première réalité c’est que la fonction publique a ses propres contraintes et motivations, et la grille de salaire est probablement le bon outil pour ce contexte.
La seconde réalité c’est que la plupart des entreprises privées ont probablement beaucoup plus à apprendre de ce qui a été créé dans le public qu’à se moquer.
D’où je parle
Je m’appelle Éric. J’ai traversé beaucoup d’entreprises avec des pratiques très différentes les unes des autres. Il y avait souvent des systèmes en place, qui ont parfois fini par être adaptés uniquement à la marge.
Je n’ai pas toujours eu des grilles de salaire. Dans une première partie de carrière j’ai vécu des ESN et cabinets de conseil avec des salaires très arbitraires, et un géant de la tech qui fonctionnait à base d’enveloppes annuelles. Pour l’anecdote, j’ai même eu une remontrance officielle parce que j’avais osé parler salaire avec mes collègues.
Dans une seconde partie de carrière (oui, il faut être vieux pour dire ça), j’ai plutôt eu des grilles de salaire, ou de la transparence à défaut d’une grille.
J’ai intégré une scale-up lyonnaise en tant que VP Engineering avec une grosse vingtaine d’ingénieurs en 2021. Suite à une forte croissance récente, ils sont aujourd’hui 50 à 60 dans l’équipe pour 280 personnes dans l’entreprise.
Le système de grille historique avait ses avantages mais on a fini par le changer. C’est ce changement sur lequel je base mon retour d’expérience.
J’avais initialement prévu une présentation docte avec mes conclusions mais la réalité c’est que c’est trop complexe. Il n’y a pas de solution unique. Je ne décris que celle qu’on a cru adaptée à notre situation, à ce moment-là.
J’ai tout réécrit le week-end précédent sous forme de retour d’expérience avec quelques pensées personnelles. Ça donne un récit, à la première personne, et ça me convient beaucoup plus. J’espère créer des échanges plutôt qu’une recette à suivre.
En parallèle de mon rôle de VP Engineering, j’accompagne quelques directeurs techniques pour les aider dans leur rôle, dans leurs enjeux et dans leur propre évolution (dites-moi si ça vous intéresse).
Partir de l’existant
Situation historique
(Les chiffres datent d’avant la période d’inflation)
Cette grille dit « je te fais confiance » plutôt que juger chacun individuellement. Ma première réaction a été que si ça fonctionne c’est vraiment un système parfait, à garder le plus longtemps possible.
Bien évidemment, ça commence à coincer
Cette grille se base sur une progression de valeur constante tout au long de la carrière. C’est certainement vrai sur les premières années mais sur 40 ou même 20 ? C’est moins évident.
Je ne paierai probablement pas n’importe quel développeur 135 000 €. Pas que ce soit impossible, mais pas juste parce qu’il justifie de 40 années d’expérience. Même 85 000 € à 20 ans de carrière, ce ne sera pas uniquement à l’ancienneté.
La première étape ça a été d’instaurer un plafond. On ne paiera pas plus que l’équivalent de 17 ans d’expérience au recrutement, même si le candidat peut justifier de plus. Il continuera toutefois de progresser à partir de là une fois recruté.
Ça fonctionne pour une boite récente qui recrute principalement des jeunes, mais ça ne tiendra pas 10 ans.
Si ça vous correspond, arrêtez-vous là ;-)
Dans les débuts, les effets de la simplicité et de la confiance priment beaucoup sur l’optimisation et la prise en compte des cas particuliers. Ce système, plafonné, reste un très bon compromis.
Pour nous, même avec ça, ça ne tient plus
Le vrai défaut c’est cette progression linéaire.
Avec l’équipe qui grandit on a trop de cas particuliers, trop de différences. Ceux qui s’investissent fortement commencent à se sentir floués. Ceux qui démontrent des qualités particulières ou une progression rapide ont l’impression de devoir partir ailleurs pour qu’on reconnaisse leur valeur et qu’on les accompagne.
Le problème c’est que ce sont ces personnes qu’on souhaite particulièrement mettre en avant. La grille ne le permet pas et ce sont eux qui sont les plus insatisfaits.
À côté de ça, les montants n’ont pas été réévalués avec la période d’inflation donc la frustration touche de toute façon tout le monde. C’est le moment de changer.
Définir les enjeux
Transparence
La transparence c’est une valeur fondamendale chez moi, comme base de la confiance mais aussi parce qu’elle me permet de dialoguer avec un monde extérieur qui m’est autrement un peu trop hermétique.
C’est aussi une des trois valeurs cœur pour l’entreprise. Je ne parle pas de celles qu’on affiche en 4 par 3 dans le hall dans une visée marketing. Je parle de celles qu’on cherche à réellement mettre en application à chaque niveau du collectif, jusqu’à faire un résumé à tous les salariés de ce qui s’est dit à la réunion avec les actionnaires.
J’ai vécu une entreprise avec une grille mais pas de transparence. Chaque niveau avait une fourchette de salaire bien déterminé mais non communiqué aux salariés. Ça crée des bruits de couloir, des fantasmes et des sentiments d’injustice inutiles.
La transparence ça évite les tripatouillages et les manœuvres cachées, qu’ils soient réels ou supposés.
J’ai aussi vécu le contraire, la transparence sans grille. Petite startup, les salaires de chacun étaient listés sur une des premières diapositives à chaque réunion d’équipe deux fois par trimestre. Pas certain que ce soit la voie à suivre mais au moins c’était transparent.
Pour l’anecdote, on m’a dit qu’ils avaient réfléchi à une transparence totale sur les salaires dans un cabinet de conseil dans lequel j’ai brièvement travaillé, et que les avocats y ont mis un veto parce que ce sont des données privées.
Je ne sais pas qui a raison ou pas mais je ne suis pas certain que ce soit la solution de toute façon. La transparence est un prérequis mais ce n’est pas suffisant.
Le seul red flag 🚩
La transparence n’empêche pas le « on s’adapte au besoin ».
Ça paraît une position raisonnable, pragmatique, mais c’est le seul red flag de tout mon récit.
S’adapter au besoin c’est de la gestion de marché. Ça veut dire payer plus celui qui négocie, parce qu’on a besoin de le recruter. Ça veut dire payer plus celui qui est, par chance, sur un projet visible. Ça veut dire potentiellement payer différemment les anciens et les nouveaux parce que le contexte lors de la définition de leur rémunération n’était pas le même.
L’adaptation au besoin c’est juste l’acceptation de l’arbitraire qui se cache derrière de beaux atours.
Impossible d’avoir une cohérence ou un semblant de justice sociale si on ne discipline pas le besoin et si on ne fait que s’adapter à celui-ci.
(non, cette dernière phrase n’est pas un message politique, quoique…)
Une grille peut s’adapter au besoin. On peut y inclure les critères nécessaires. On peut même y faire des exceptions.
La différence c’est que ces exceptions seront visibles. Ça force à en discuter, et à justifier ces exceptions. Il y aura une forte pression à les réduire le plus possible, faute de quoi ça revient à faire tomber la grille.
Pas de négociation
L’absence d’adaptation au besoin fonctionne dans les deux sens. Si la grille est un terrain de combat on n’en fera jamais un outil positif. L’existence d’une grille veut généralement dire l’absence de négociation.
Je fuis l’idée de la négociation. On ne négocie pas avec le candidat. Il y a une offre, discutée, sur laquelle on s’accorde éventuellement.
Je ne veux pas de prime à celui qui négocie ou qui sait négocier. Ce n’est pas une compétence pertinente dans mes équipes techniques.
Je ne veux pas de malus aux introvertis et aux anxieux. Ce n’est pas le bon critère pour évaluer l’impact futur du candidat, surtout dans les équipes techniques où ces deux catégories sont sur-représentées.
Je ne veux pas non plus payer moins ceux qui sont habituellement discriminés et qui auront tendance à moins demander à la base, par précaution, parce que c’est « le marché » pour les personnes discriminées.
Bref, je ne veux pas de négociation, ni côté employeur (certains ont pour habitude d’essayer de tordre le bras autant qu’ils le peuvent), ni côté candidat (certains savent faire et en ont les moyens, d’autres pas).
Peut-être que tout ceci est différent si vous recrutez des commerciaux ou des négociateurs mais je n’en suis même pas certain.
Égalité
Quand on parle égalité, il y a une tendance à entendre « tous pareils ». Ma pensée est plutôt « même poste et même impact = même rémunération ».
Le premier pas de l’égalité c’est la limitation des biais et discriminations. La grille est un outil qui aide bien pour ça. Elle réduit les zones de subjectivité aux paramètres prévus et elle force à motiver les choix de ces paramètres.
Attention : Ce n’est évidemment pas parfait pour autant. On ne fait que limiter les biais, et à condition d’avoir tous la volonté d’agir en ce sens. Si les paramètres introduisent ou permettent eux-mêmes des biais, la grille peut même être un outil qui va permettre de faire taire les perdants en affirmant une fausse objectivité.
L’avantage de la grille est de pouvoir mettre en lumière les paramètres de rémunération, les discuter, et d’imposer à motiver les différences.
Chaque inégalité est une petite bombe à retardement.
C’est du temps perdu à argumenter, de la démotivation, ou au mieux du mécontentement latent qui va resurgir à chaque période difficile.
Est-ce qu’on doit mieux payer les Parisiens que les Nancéiens ?
Est-ce qu’on doit mieux payer certains métiers ?
Est-ce qu’on doit mieux payer les managers ?
Je n’ai pas de réponse à ces questions, ou plutôt j’en ai mais elles sont personnelles, pas universelles. L’important c’est de permettre ces débats et de ne pas cacher les choix pris.
Simplicité
Je suis ingénieur.
J’aime bien les solutions complexes à des problèmes simples.
Là j’ai un problème complexe, autant dire que je suis capable de faire des solutions très complexes.
Dans mes recherches j’ai vu des formules gigantesques pour prendre en compte l’impact, l’expérience, le rôle, la situation de famille, le lieu de résidence, l’expertise et d’autres extras.
La formule en exemple existe réellement. J’imagine que ça fonctionne très bien pour eux mais des échanges m’ont fait revenir à quelque chose de simple très tôt dans le process et tant mieux.
La grille doit rester manipulable et inspirante, quitte à être imparfaite.
Un bête tableau sur un ou deux critères est probablement le plus simple. Choisissez vos critères, gardez ceux-là et renoncez aux autres, même s’ils résolvent des cas intéressants.
Refuser des candidats
J’ai parlé d’égalité, d’absence de négociation, et d’une grille simple donc qui ne peut pas prendre chaque situation particulière en compte.
Il n’y a pas de secret, ça veut dire qu’on rencontrera des candidats qui ne voudront ou pourront pas s’aligner sur notre grille, et on est prêt à les refuser. Parfois ça sera des personnes qu’on voudrait recruter, et on les refusera quand même.
C’est le jeu et c’est important. On peut définir quelques jokers mais mieux vaut partir d’emblée avec l’idée qu’on n’a rien sans rien et que oui, on va perdre des bons candidats. C’est assumé et ce n’est pas grave. Sur le long terme c’est clairement gagnant.
Créer la grille
Chemin de carrière
Chacun a besoin de se projeter dans l’avenir et une grille fixe n’y répond pas vraiment, même si c’est contre-intuitif.
On sait combien on va gagner mais ça ne dit rien de la progression. Si rien ne vient sanctionner cette progression, c’est facile de se dire qu’on ne progresse pas, que personne ne va nous faire progresser, ou qu’on ne valorise pas la progression.
Je crois que c’était le problème majeur de dynamique RH quand je suis arrivé. Il a fallu définir les chemins de carrière, puis ce qu’on attend aux différentes étapes. Ça mériterait une présentation à part entière donc je ne détaillerai pas le contenu lui-même.
Des niveaux d’impact
J’ai, dans mon contexte, commencé par définir 4 niveaux de contribution individuelle : junior, confirmé, expérimenté et senior. C’était un choix appuyé de ma part pour que les niveaux aient un sens.
Dans mes recherches j’avais trouvé des grilles avec des niveaux A B C D et d’autres SE-I SE-II SE-III. Je trouvais ça trop abstrait.
Je pensais devoir donner un sens plus concret et je le regrette aujourd’hui. Même avec une grille de critères très détaillés, c’est difficile de se battre avec ce que chacun imagine être un senior ou ce que ça représente dans une autre entreprise. Ça a fini par être plus une difficulté qu’un facilitant.
Au-delà il y a deux lignes de leadership, une pour le leadership technique (ici appelé « staff ») et une pour le leadership humain (ici « team lead », mais ailleurs on appelles souvent ça « engineering manager »).
Ce ne sont pas simplement des évolutions ou spécialisations des rôles de contribution individuelle. Les rôles de leadership sont de vrais rôles à part entière, distincts, même pour le leadership technique.
Il y a plein de choix dans la progression choisie. Ne les reprenez pas tels quels sans les penser.
En particulier nous avons décidé que, dans notre contexte, nous attendions des managers qu’ils soient aussi capables de remplacer un contributeur individuel senior. C’est loin d’être une évidence et ça explique en partie nos difficultés de recrutement sur ces postes vu les attentes élevées que nous avons pour les contributeurs individuels senior.
J’ai aussi fait le choix de ne pas avoir de ligne d’expertise. Ça pourrait avoir du sens, c’est juste que nous n’en avons pas besoin aujourd’hui.
Une progression sur ces niveaux
On a créé une grille destinée à l’évaluation des niveaux d’impact. Celle des contributeurs individuels est sur une vingtaine d’objectifs.
La première grille en 2021 avait quelque chose comme quarante objectifs. C’était trop, beaucoup trop. Même si cette surcomplexité n’était pas souhaitée, je ne suis pas certain qu’il aurait été une bonne chose de l’éviter. Avec de nombreux critères on a évité la critique de subjectivité au moment crucial de la mise en place du système d’évaluation. Avec cette première expérience, passer à une grille plus simple a pu se faire sans générer ce sentiment.
Chaque niveau a un résumé de ce qu’il représente comme impact et une description illustrant ce que ça implique pour chacun de ces objectifs.
Junior | Mon focus est sur moi-même, sur mon apprentissage, je suis accompagné et supervisé par des plus seniors |
Confirmé | Je suis autonome mais accompagné. Je participe aux décisions qui impactent mon équipe |
Expérimenté | Je suis autonome, je produis un travail de qualité, je prends des initiatives, je prends des décisions qui impactent mon équipe |
Senior | Je suis excellent dans le rôle de développeur, ce que je produis a un fort impact (souvent transversal), j’ai une expertise technique, j’accompagne et encadre les plus juniors de mon équipe. Je guide et organise des projets. |
Staff | J’ai un leadership technique dans le département. Je définis une vision et les objectifs. Je fais en sorte qu’on avance sur ces objectifs en facilitant, animant, guidant, formant les autres. Je prends la responsabilité de ce qui est transversal. J’ai un impact fort et mesurable sur tout le département et l’entreprise. |
J’avais commencé ce travail indépendamment de la question de la rémunération, pour guider et coacher chacun dans sa progression. On ne peut pas prétendre accompagner chacun sans définir les attentes à chaque étape et sans une vraie politique de feedback basée sur ces attentes.
Le processus d’évaluation annuelle paraît très old school à beaucoup mais ça joue un vrai rôle, nécessaire. Je ne vois juste pas comment coacher quelqu’un sans avoir cet instant de recul et de vérité sur ce qui fonctionne et ne fonctionne pas. On y montre aussi l’évolution sur une période, et on y explicite les axes de progression futurs.
Ce qui a paru évident assez rapidement c’est que, quitte à faire ce travail sur le chemin de carrière, on avait intérêt à le lier à la rémunération pour l’ancrer à quelque chose de tangible. Au-delà, ça nous permet de restaurer un sentiment d’égalité et de justice dans la rémunération.
Il y a eu une fin de chemin commune entre deux projets menés initialement en parallèle pour des raisons distinctes, et ça s’est bien agencé.
Étalonnage
La mise en place de ce chemin de carrière présentait ses propres risques. Un mauvais calibrage et on se retrouve à bloquer ou faire avancer trop rapidement les salaires.
On a commencé par un étalonnage via une répétition d’évaluation annuelle. Les managers évaluent chacun sur la grille de niveaux sans pour autant lancer tout le processus d’évaluation annuelle. On regarde alors si ça correspond à nos intuitions.
Je m’étais fixé deux critères pour confirmer que le chemin était le bon.
- Pour n’importe quel contributeur individuel, il faut que son impact soit plus important que tous ceux qui ont un niveau inférieur, et que son impact soit moins important que tous ceux qui ont un niveau supérieur. Si ce n’est pas le cas c’est que nos niveaux sont probablement mal définis.
- Ensuite, il faut que la progression type semble assez continue entre les niveaux, sans niveau dans lequel on s’enlise ni niveau à progression trop rapide. Le cas échéant il faudrait durcir ou adoucir certaines attentes.
Progression type
On a tenté de comparer notre ancienne grille à la nouvelle. L’idée c’est de définir la progression type avec une sorte d’équivalent d’années d’expérience pour chaque niveau.
On sait que ça ne va pas correspondre pour tout le monde — c’est même pour ça que je veux mettre en place ces niveaux — mais on devrait trouver un parcours type qui correspond à la majorité, et avoir l’impression que ceux qui vont plus vite sont effectivement nos hauts potentiels.
Là, je crois que j’ai eu un peu de chance.
On est tombé quasiment magiquement sur quelque chose comme 20/60/20, c’est à dire 60 % qui correspondent à un parcours type, 20 % en dessous et 20 % au-dessus.
Ça nous a donné une progression type environ tous les trois ans pour la partie contribution individuelle, un peu plus vite au début de carrière. Certains progresseront toutefois plus rapidement, ou moins rapidement, en fonction de leur propre impact.
Progression semi-automatique
Il y avait à la fois une conviction que la grille historique ne fonctionnait plus mais aussi la crainte que passer sur un système d’évaluation annuelle n’entraîne l’entreprise sur un système qui rompe avec nos valeurs.
On a décidé de faire un 50–50, comme à « Qui veut gagner des millions ? » :
- 1 250 € à l’expérience
- 1 250 € à l’impact.
Avec notre moyenne d’un niveau tous les trois ans, ça fait 3 750 € entre chaque niveau et 5 000 € l’année où on change de niveau (puisqu’on cumule le changement de niveau et une année de plus).
C’est d’ailleurs mon erreur au début. J’ai continué à proposer les augmentations annuelles à date anniversaire alors que les passages de niveau se sont faits lors des évaluations annuelles en juillet. Ça a divisé ces 5 000 € en deux parties, diminuant le ressenti lors du passage de niveau. On a corrigé ça et on fait désormais les deux augmentations en juillet pour tout le monde.
Recrutement
Je n’ai pas envie de débats interminables et de faire revenir les biais décrits en début de réflexion. Pour éviter ça on place les candidats sur la grille en fonction de son nombre d’années d’expérience et du parcours type obtenu lors de l’étalonnage (la zone rouge sur l’illustration précédente).
Tout le monde ne progresse pas à vitesse constante toute sa carrière, et en général ça va plutôt descendant. Si on veut maintenir un niveau moyen élevé, il faut prévoir que les progressions seront potentiellement plus faibles dans le futur que dans le passé et recruter plutôt au-dessus de notre parcours type qu’au-dessous.
Le résultat c’est que, lors des tests, si le candidat ne semble pas pouvoir atteindre le niveau attendu à la fin de sa période d’intégration, on lui dit non plutôt que le placer au niveau inférieur.
Ça nous fait dire « non » à plus de candidats qu’on ne devrait, mais c’est ce qui fait qu’on va garder un niveau général élevé.
Dire non dans ces cas-là nous évite aussi une bonne partie des placements exotiques dans la grille, par exemple un junior avec 10 ans d’expérience ou un expérimenté avec 20 ans d’expérience. Ceux qu’on recrute restent sur le parcours type dont on sait que les rémunérations sont cohérentes.
Il reste la question des seniors. Vu qu’on ne force pas tout le monde à passer en leadership et que c’est le dernier niveau de contribution individuel aujourd’hui, on pourrait avoir des seniors à 40 ans d’expérience avec un salaire excessif à cause de la progression automatique par année d’expérience.
On a là gardé notre solution initiale : le plafonnement des contributeurs individuels à 20 ans d’expérience lors du recrutement. Si je recrute un candidat à 40 ans d’expérience qui n’a pas évolué au-delà du niveau senior, il sera payé comme un senior de 20 ans d’expérience (ce qui est déjà beaucoup).
Note : on compte les années d’expérience pour le placement au recrutement. Ensuite, ce n’est simplement plus un sujet. On ne parlera que de progression de niveau et on fera une augmentation automatique à l’expérience pour tout le monde, sans plafonnement. Ça posera peut-être des difficultés dans 10 ans mais il sera temps d’agir à ce moment-là si vraiment la grille n’a pas changé entre-temps.
Cas particuliers au recrutement
On a fait le choix de valoriser quand même l’expérience spécifique de ceux qui ont un parcours atypique avec une reconversion. Ce n’est pas de l’expertise, mais le recul et les compétences annexes apportent un vrai plus.
On compte l’expérience dans le métier cible pour le placement dans les niveaux mais on ajoute ensuite quand même la moitié de l’expérience pré-reconversion. On mettra probablement un plafond à ce système mais nous n’avons pas encore eu à le faire aujourd’hui.
On a gardé la possibilité de faire aussi une exception pour des candidats qui ont eu une progression bien plus rapide que la moyenne, dont on saurait motiver objectivement l’exception par leurs réalisations passées ou leur parcours.
Ça arrivera probablement un jour mais en pratique ça n’a jamais été le cas en trois ans. Je préfère proposer d’entrer au niveau attendu et de faire une promotion rapide lors de la période d’essai. On l’a déjà fait. On le refera avec plaisir autant de fois que ce sera pertinent.
Positionner la grille
Il faut mettre de vrais chiffres dans notre grille. C’est plus facile à dire qu’à faire.
Définir son marché
L’illustration n’est pas mienne.
La question est à qui on se compare : Les concurrents locaux directs, tout le marché local, ou tout le marché global.
Ça explique pourquoi les comparatifs ne vont pas aider, d’autant plus s’ils agrègent plein de points de données sans vrai tri préalable. Vous en trouverez plein, tous sérieux, mais qui diront chacun quelque chose de différent, avec parfois des écarts énormes.
Ce sont trois marchés distincts et faire une moyenne ou une médiane sans distinguer ces trois zones n’a pas de sens. Le chiffre dépendrait plus de la répartition du corpus entre ces trois catégories que du niveau de rémunération lui-même.
Même définir quel est notre marché n’est pas une évidence. Nous recrutions plutôt en T1 et T2, plutôt en marché local ou hors Paris, mais ce sont les T2 et T3 qui recrutent chez nous, avec parfois les tarifs parisiens. C’est une fierté parce que ça montre à quel point nos pratiques et notre niveau sont élevés mais ça ne nous aide pas.
Décider sur quoi il est pertinent nous aligner relève au final d’un choix stratégique plus que d’un calcul objectif.
Définir sa référence
Nous savions tout ça mais ça n’a pas été simple pour autant. Nous avons quand même perdu beaucoup de temps à débattre des médianes et des comparatifs de rémunération.
Je me suis d’ailleurs pris les pieds dans le tapis une fois avant qu’on arrive au bon positionnement l’année suivante, faute d’avoir présenté les choses d’une façon qui convainque. J’avais abouti en sélectionnant Figures et Datarecrutement comme références. On m’a opposé un benchmark d’une plateforme de recrutement qui avait des médianes 20 % inférieures.
Au final c’est facile de choisir arbitrairement un comparatif en fonction de ses propres convictions, et vider de son sens l’intérêt de se baser sur un comparatif.
Se baser sur les offres reçues par les salariés ne fonctionne pas mieux.
Les salariés voient les entreprises qui mettent leurs offres en avant, qui embauchent des recruteurs. Ce sont ceux qui ont un fort besoin en recrutement, donc sont déjà prêts à investir plus que la moyenne. Ceux qui sont prêts à chasser chez nous sachant qu’on paye plutôt bien sont aussi ceux qui sont au-dessus de la moyenne. Parmi ceux-là, ceux qui mettent en avant une fourchette de salaire tôt dans le processus sont souvent ceux qui en sont fiers donc ceux qui payent dans le haut de leur marché.
À cela il faut penser qu’on va retenir les belles offres qui font rêver. Les autres on va vite les oublier en se disant qu’elles ne sont pas pour nous. Elles font pourtant autant partie du marché.
Les biais de sélection s’accumulent et, même avec de la bonne volonté, on finit par se comparer à ceux qui payent nettement au-dessus du marché réel.
La perception est fortement biaisée et ça s’est encore accéléré avec le télétravail depuis la pandémie. Les entreprises parisiennes se sont mises à solliciter les travailleurs hors de Paris, avec des tarifs parisiens de 10 à 20 % supérieurs à ceux des autres régions. On ancre ces références, même pour les salariés qui préfèrent avoir des collègues en local.
Il est souvent impossible de suivre, et ce ne serait de toute façon pas forcément une bonne stratégie.
On a aussi essayé de regarder les entreprises comme la nôtre mais ce n’est pas simple et n’a pas permis d’avancer.
Des scale-up à Lyon il n’y en a pas des dizaines. S’il faut retirer celles qui sont juste après une levée de fonds ou un rachat avec un cash qu’on n’a pas, ça limite beaucoup. Si on retire aussi celles qui ont un siège ou une grosse antenne à Paris, ce qui rend pertinent de recruter au tarif parisien, on limite encore plus. Si on retire encore celles qui licencient beaucoup donc pourraient regretter d’avoir des salaires si haut, celles sur un domaine qui a un fonctionnement ou des contraintes différentes du nôtre, celles qui sont sur une techno plus ou moins recherchée, celles qui ont une qualité qui n’est pas celle qu’on cherche, celles qui… à force de retirer chaque différence et chaque cas particulier il ne reste plus que nous. Choisir ce qu’on retire ou pas revient à choisir arbitrairement ce qu’on veut retenir en fonction de ses propres convictions et on fausse encore une fois tout l’intérêt.
Retour à la case départ.
Définir la pente
Dès la première itération on arrive quand même à se créer une conviction quant à la pente de progression, c’est-à-dire de la différence entre une personne qu’on veut recruter en sortie d’école et une avec 10 ans d’expérience qui a suivi notre progression type.
Figures et Datarecrutement nous donnent quelque chose de suffisamment cohérent avec notre grille historique pour qu’on veuille se fixer dessus.
La surprise, pour moi, c’est qu’au moins sur les 10 à 15 premières années, la progression de salaire de ceux qu’on aimerait recruter est assez linéaire. Je me serais attendu à une progression plus logarithmique.
Mieux, la pente moyenne de cette progression est assez proche de celle qu’on avait déjà historiquement : 2 500 € par année d’expérience.
On va donc figer ces paramètres. Avec notre choix du 50–50 et notre passage de niveau en moyenne tous les trois ans, ça fait bien 5 000 € d’augmentation l’année du passage d’un niveau et 1 250 € les autres années (hors inflation, j’y reviendrai après).
On voit bien que cette pente n’est viable que pour ceux qui suivent quand même de près ou de loin la progression type, sinon ça peut vite devenir aberrant.
Avec le temps, s’il faut mettre à jour cette pente avec l’augmentation des salaires, je pense que j’aurais tendance à accroître le poids du passage de niveau par rapport à la partie automatique liée à l’année d’expérience.
Ça réduira les problèmes que posent les cas particuliers qui sortent de la progression type et ça permettra de créer plus d’intérêt personnel à progresser.
Tout ça ne nous donne malheureusement toujours pas les chiffres finaux.
Figures.hr
Instant pub mais je n’ai pas de commission
(hey, commerciaux de Figures, si vous passez par là, on peut en parler ;-)
Contexte : On a eu une levée de fonds avec une volonté d’accélérer fortement nos recrutements entre notre premier essai, que je considère un peu comme un échec, et notre choix final de l’outil Figures. Ça guide aussi la stratégie mise en œuvre.
Un an après, on confirme donc Figures comme référence. Aujourd’hui, c’est celui que je recommande pour notre cas, et probablement pour la plupart des startups et scale-ups.
Figures c’est juste une base de données de salaires, comme n’importe quelle autre. Ce qui fait sa particularité c’est qu’elle se constitue côté employeur. On évite donc le biais principal qui est d’avoir uniquement les salariés qui recherchent ou ceux qui ont recherchés par des recruteurs. Les entreprises qui veulent fouiller dans la base sont obligées d’y injecter leurs propres données. Le système donne quelque chose d’assez cohérent dès qu’il y a une masse critique, qui semble aujourd’hui atteinte.
Vous vous souvenez des trois marchés ? Figures affiche pas mal de logos, quelques ESN mais beaucoup de startups, scale-ups, et quelques licornes. On est majoritairement dans le T2 avec un peu de T1. Maintenant ce sont aussi probablement des T2 et T1 que leur marketing cherche à mettre en avant pour faire rêver. Pour confirmer, il faudrait avoir la liste intégrale.
Toujours est-il que ça ressemble quand même beaucoup à pas mal d’entreprises à qui on pourrait avoir envie de se comparer.
Est-ce pertinent pour tout le monde ? Certainement pas.
Par contre, l’outil est assez bien fait et ne nous présente pas qu’une médiane. On a des chiffres par déciles, des tris par niveau, par métier, par localisation, et quelques filtres supplémentaires comme le nombre d’employés, le stade de financement, le domaine d’activité, etc.
Définir ses paramètres
Attention à l’échantillon. Les filtres sont magiques mais, au moins hors de Paris, on arrive vite sur une zone non représentative dès qu’on en cumule plusieurs. Comme toute recherche de données, on peut faire bien des erreurs de bonne foi. Heureusement, l’outil nous indique le degré de confiance.
On a donc intérêt à ne pas trop filtrer, et nous limiter aux critères vraiment pertinents.
Quand on a fait l’étude (ça doit forcément varier avec le temps et avec les sociétés qui participent), la taille de l’entreprise ne joue en réalité pas un rôle majeur. Le domaine d’activité non plus. Ce dernier point me semble cohérent avec l’orientation très startup et scale-up : Ces sociétés se ressemblent plus entre elles qu’elles ne ressemblent aux entreprises classiques de leur propre domaine d’activité.
Plus étonnant pour moi, le stade de financement n’est pas un critère majeur non plus. En fait, les entreprises très avancées ne payent pas forcément plus, et parfois même plutôt moins. Même sélectionner uniquement le FT120 ou le Next40 ne fait pas tant monter les rémunérations.
Localisation
Le vrai critère qu’il reste c’est la localisation. On identifie trois corpus assez clairs : Paris, le télétravail, le reste de la France. Le télétravail est proche de Paris. Le reste de la France est significativement plus bas. Cette dernière catégorie est un peu fourre-tout. On a l’intuition que Lyon est probablement un peu différent du reste de la France mais l’échantillon spécifiquement lyonnais est trop peu significatif pour permettre de s’en assurer.
Toujours est-il que, de la même façon que nos marchés T1, T2 et T3 plus avant, on se retrouve avec trois ensembles dont le calcul de la médiane serait plus caractéristique de pondération entre les trois que des rémunérations elles-mêmes. La pondération risquant de changer avec le temps, la médiane ne représente pas grand-chose.
On va devoir choisir. On veut pouvoir recruter à Paris et en télétravail mais l’essentiel de nos équipes est quand même à Lyon et on souhaite que ça reste ainsi. Ça se voit d’ailleurs dans notre critère de télétravail : pas à plus de 3 heures de Lyon (j’ai une grande conviction là-dessus, venez m’en parler si vous voulez). À défaut de mieux, on se compare donc à « toute la France sans l’Île-de-France ni le télétravail ».
C’est le seul critère qui nous apporte de vraies différences et on risque de se retrouver avec un trop petit corpus si on ajoute des filtres. On ne garde que celui-là.
Quand on étendra la méthodologie à d’autres métiers, même ce critère se retrouvera parfois limitant, et on se comparera à l’ensemble toutes localisations confondues.
Définir la stratégie
Vous savez quoi ? Même après tout ça, on n’a pas notre grille. On a une référence, mais la médiane n’est pas forcément le chiffre à retenir.
Se placer à la médiane c’est dire que 50 % paye mieux. Est-ce vraiment là que nous voulons nous placer ?
On veut un niveau technique élevé et attirer des candidats excellents. On rejette d’ailleurs énormément de monde lors du processus de recrutement. Positionner ensuite la rémunération à la médiane du marché ne serait pas cohérent. Quelques salariés nous le disent d’ailleurs explicitement lors des discussions.
On regarde notre intuition sur ce qu’il faut faire (désolé pour ceux qui pensent que tout est parfaitement chiffré, à un moment il faut faire des choix arbitraires de stratégie) et ça tombe assez bien avec le 75ème percentile de notre choix géographique.
« Ils sont où les chiffres ? »
J’ai fait l’intervention au Mixit au nom de mon employeur. J’ai eu le plaisir d’y diffuser en pleine transparence la grille de ce moment là, avec tous les chiffres. Plein de gens ont pris des photos qui se retrouvent probablement en ligne. Il y a aussi eu un enregistrement vidéo qui finira sur la page de la conférence s’il n’y est pas déjà quand vous lisez ces lignes.
Ici c’est un espace personnel avec un discours un peu plus intemporel et des opinions qui n’appartiennent parfois qu’à moi. Je préfère donc ne pas y mettre d’informations spécifiques à mon employeur.
C’est cohérent avec notre stratégie : on ne concurrence pas Paris mais on veut être en haut de liste chez nous.
Haut de liste ça veut quand même dire qu’on ne sera pas systématiquement le meilleur payeur. C’est assumé.
Par définition, on a 25 % de la population cible qui sera mieux payée que chez nous. Parfois ça sera même beaucoup mieux, parce que plus on s’écarte de la médiane plus les salaires explosent de façon exponentielle. Souvenez-vous le graphique des trois marchés, comment le T1 a une longue traîne vers la droite. On ne cherche pas à dépasser ce marché-là, ou même à être celui qui met le plus sur la table dans le T2.
Ça nous laisse toutefois correctement placés correctement par rapport à la France entière (donc le corpus semble quand même majoritairement parisien), proche de la médiane, donc ça nous permet encore de recruter à Paris sachant qu’on donne aussi des rémunérations annexes (BSPCE) qui peuvent être très significatives dans le temps.
Est-ce que vous devez prendre le 75ème percentile ?
Probablement pas. Si je devais être joueur, je dirais que ça a même 75 % de chances d’être trop élevé pour vos besoins. Tout le monde ne peut pas être au 75ème percentile. C’est juste notre stratégie, en fonction de notre contexte, à ce moment-là.
C’est d’autant plus vrai que, sauf à abandonner l’idée de grille en payant différemment les nouveaux et les anciens, on peut faire monter la grille mais pas la faire descendre. Pour descendre la seule solution c’est arrêter de suivre l’évolution du marché et espérer que le marché nous dépassera. Ça peut prendre du temps, surtout en période de crise où le marché aura tendance ne pas augmenter, voire à baisser. Bref, prudence.
Définir l’évolution
J’ai dit que les augmentations annuelles se font hors inflation. En réalité c’est impossible d’intégrer l’inflation dans la grille vu que c’est quelque chose qui varie chaque année. Je risque rapidement de me retrouver avec une grille déconnectée de la réalité.
La solution c’est de faire évoluer la grille elle-même, régulièrement.
On ne se calera cependant pas sur l’inflation mais sur le marché. On se confronte à notre référence et on se met à jour en fonction. Ce sera probablement une fois tous les ans ou tous les deux ans.
On garde un second critère en parallèle : le taux de rejet au recrutement.
Avoir une grille simple et un positionnement objectif au recrutement nous permet de donner un positionnement de rémunération dès le premier échange avec un candidat. Si la rémunération proposée pose problème, on le sait tout de suite. On se dit aujourd’hui qu’on aura quelque chose à réévaluer si on a plus de 20% de refus à cause du salaire dans les candidats qui correspondent à nos offres.
Ce double critère, un comparatif de marché et un calibrage au recrutement, nous garantit une démarche juste, indépendamment de tous les biais qu’on a exploré.
L’idée est de sortir le salaire de l’équation. On paye bien. La méthodologie permet à chacun d’avoir confiance dans la grille établie malgré le ressenti que donnent toutes les offres qu’on voit passer. On peut se concentrer sur ce qu’on réalise plutôt que nous battre sur la question du salaire.
Faire des choix
Il n’y a pas qu’une seule vérité, juste des choix, pas toujours aussi libres qu’on ne l’aimerait. C’est aussi pour ça que je ne fais que raconter mon histoire. C’est à vous de créer la vôtre, avec vos propres choix.
La partie qui suit est probablement plus tournée vers l’opinion personnelle. À vous d’en faire l’usage qui vous convient.
Diplôme, alternance, et leur absence
J’ai la conviction que les études ne servent pas à rien. Je vois généralement la différence entre un jeune diplômé BAC+2 et un jeune diplômé BAC+5. Je suis cependant généralement incapable de dire si quelqu’un dans les 10 ans d’expériences avait fait des études courtes ou des études longues.
La formule qu’on a trouvé c’est de compter de la même façon un BTS avec 5 ans d’expérience, un IUT avec 4 ans d’expérience, et une école d’ingénieur avec 2 ans d’expérience.
Ce qu’on n’apprend pas en études on peut l’acquérir en expérience. Ce n’est pas équivalent — on n’apprend pas les mêmes choses — mais sur le moyen terme ça me semble une bonne approximation que tout le monde comprend et accepte.
Cette règle simple permet aussi de facilement gérer le cas de l’alternance. Si on compte de la même manière les années de formation et les années de pratique, on compte aussi de la même façon les années qui mêlent les deux.
Très bonnes écoles
J’ai toujours été embêté par la question des très bonnes écoles.
Pour être honnête, je sais que quand je recrute quelqu’un qui vient de Centrale Lyon, j’ai toutes les chances d’avoir un candidat qui sortira du lot.
Ce que je sais aussi, c’est qu’une personne excellente sera excellente qu’elle aille à centrale ou dans le BTS du coin. C’est juste qu’une part importante des personnes excellentes va dans de très bonnes écoles.
Beaucoup mais pas tous, pour plein de bonnes raisons qui sont propres au parcours de chacun. Je trouve injuste et mal avisé de forcément rémunérer en fonction de ce critère.
Au final je préfère dire que si quelqu’un est vraiment bon, il progressera vite dans les niveaux et pourra obtenir très vite une très bonne rémunération. Je fais confiance et donne les opportunités à tout le monde au départ. Je ne l’ai jamais regretté.
Paris et Île-de-France
J’ai déjà donné mon opinion il y a quelques années. Elle n’a pas changé, même si je l’écrirais aujourd’hui avec probablement plus de conditionnel et moins de radicalité.
Je ne dis pas que ça ne se fera jamais, mais à mon sens si jamais ça se fait ça sera par besoin, pas simplement pour mieux rémunérer ceux qui font le choix de rester dans une zone chère.
Enfants à charge
La question sous-jacente : est-ce que la rémunération doit s’adapter à la valeur produite par la salarié ou par les besoins de vie du salarié ?
C’est un choix politique plus qu’un choix d’entreprise, et je ne souhaite pas confier la politique sociale aux intérêts privés des chefs d’entreprise. C’est pour moi un choix qui doit appartenir à la collectivité et s’imposer ensuite à tous.
Pour autant, je sais bien qu’on ne vit pas dans un monde idéal, et il est naturel de trouver positif que certaines entreprises tentent de compenser les lacunes de notre politique sociale.
Quelle est la bonne limite ? Je ne sais pas. J’aimerais juste que les bonnes actions des entreprises ne soient pas une désincitation à ce que l’État joue son rôle.
Fidélité
En startup on a un super outil pour récompenser la fidélité : les BSPCE (si vous ne connaissez pas, pensez « stock options »).
Pour les autres… je ne sais pas. Jouer sur la rémunération c’est risquer de retenir des salariés en les payant au-dessus du marché. Ça fonctionne mais on risque aussi de retenir des personnes qui ne sont plus impliqués et qui n’ont plus tout à fait envie d’être là.
Quitte à choisir, je préfère récompenser la fidélité par des congés. On évite l’effet prison dorée.
Temps partiel
On m’a posé la question du temps partiel. C’est tellement simple pour moi que je n’y étais pas préparé : le temps partiel est possible, la rémunération est au prorata.
D’un point de vue personnel j’ai même tendance à encourager le 80 %. La perte de productivité est finalement assez faible.
Pour un mi-temps, l’équation est différente. J’ai la conviction que la productivité est inférieure à 50 %, parce que les temps non-productifs (synchronisation, discussions, apprentissages) sont incompressibles. Au global toutefois, tant que les demandes de mi-temps sont marginales, je préfère laisser la possibilité ouverte et conserver cette simple règle du prorata.
Calcul d’expérience
On comptera un période à temps partiel 80 % comme une à temps plein.
Un congé maternité, un arrêt maladie ou un mi-temps de quelques mois au milieu d’une période d’activité compteront aussi probablement comme une période d’activité à temps plein.
Un mi-temps de plusieurs années comptera probablement pour moitié. Un arrêt maladie ou un congé sans solde de plusieurs années ne compteront probablement pas comme une période d’activité.
Où est la limite ? Je ne sais pas encore. Peut-être 6 mois, peut-être 1 an, peut-être autre chose, et peut-être que ça dépendra des cas. Nous n’avons pas encore eu à trancher.
Variable
Là aussi, j’ai déjà écrit et je n’ai pas varié. La littérature est assez claire pour dire que les primes sur objectifs sont une mauvaise chose pour les métiers autres que les métiers d’exécution.
Nous avons toutefois un intéressement à la réussite collective de l’entreprise, via les BSPCE.
Tout ceci n’est que le récit d’une expérience personnelle.
Il n’y a pas de vérité absolue, que des choix, parfois très arbitraires, qu’on a cru bons dans notre situation spécifique. Faites les vôtres. Peut-être que certains des miens changeront à l’avenir.
Je suis par contre très intéressé par ce que ça vous inspire, ce que vous avez vous-même testé ou mis en œuvre, et par les questions que ça soulève chez vous.
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