Je bous sur ma chaise à chaque fois que quelqu’un parle de mérite pour justifier sa position sociale. La réalité c’est qu’on a une très grande partie de chance et une petite part de mérite. La réalité c’est qu’on a à côté une foultitude de personnes qui méritent tout autant voire plus, mais qui n’ont pas cette position sociale pour autant.
Le plus souvent ce sont des bien portant, souvent grands, blancs, belle gueule, bonnes capacités intellectuelles, bonne maitrise de la langue, bon diplôme, venant d’une grande ville, venant d’un milieu social moyen à élevé, sans énorme difficulté familiale. Le tableau n’est pas toujours complet mais il y a quasiment toujours facile la moitié des critères.
Naitre sans handicap majeur c’est de la chance, pas du mérite.
Avoir une bonne vision c’est de la chance, pas du mérite.
Pouvoir monter les escaliers qui mènent au boulot c’est de la chance, pas du mérite.
Avoir de bonnes capacités intellectuelles c’est de la chance, pas du mérite.
Ne pas subir de discriminations systématiques sur sa couleur de peau, son genre ou quoi que ce soit d’autre, c’est de la chance, pas du mérite.
Avoir eu une école primaire, un collège ou un lycée de bonne qualité c’est de la chance, pas du mérite.
Avoir éventuellement pu déménager, faire du trajet ou passer dans le privé pour éviter une carte scolaire défavorable c’est de la chance, pas du mérite.
Avoir pu faire des études avec plus de facilité parce qu’il n’y avait pas une heure de trajet à l’aller et autant au retour, c’est de la chance, pas du mérite.
Avoir eu des professeurs présents et compétents, voire qui ont donné envie sur leur matière, c’est de la chance, pas du mérite.
Avoir pu travailler le soir plutôt que faire l’intégralité des tâches ménagères ou s’occuper des frères et sœurs, c’est de la chance, pas du mérite.
Ne pas galérer en cours parce que sa langue maternelle est le français et que ça parle un français riche à la maison, c’est de la chance, pas du mérite.
Avoir des parents avec le capital intellectuel et social pour aider ponctuellement quand il y en a besoin lors des études c’est de la chance, pas du mérite.
Avoir un contexte dans la famille ou autour de soi qui pousse à travailler et à faire des études, c’est de la chance, pas du mérite.
Avoir de bonnes fournitures et ne pas galérer, perdre du temps, user ses efforts, risquer de louper des examens parce qu’on a tout dû acheter au rabais ou le partager avec le reste du foyer, c’est de la chance, pas du mérite.
Avoir pu profiter d’un éclairage culturel et social large en voyageant, en allant en camp de vacances, en faisant du scoutisme, ou de la voile, ou du sport au cours de l’année, ou de la musique, c’est de la chance et pas du mérite.
Avoir des parents qui ont eu un peu de relationnel quand il a fallu trouver des stages ou des employeurs, ou des études supérieures, c’est de la chance, pas du mérite.
Ne pas avoir eu sa maison qui a brûlé, son père qui est mort, sa mère à l’hôpital après un accident ou je ne sais quoi d’autre les années pivot dans les études, c’est de la chance, pas du mérite.
Ne pas avoir à demander de visa pour aller dans de bonnes écoles, ne pas avoir à justifier sa nationalité, c’est de la chance, pas du mérite.
Avoir le loisir de faire des études longues et/ou ne pas travailler l’été en parallèle des études, manger à sa faim pendant cette période, c’est de la chance, pas du mérite.
Tomber dans de bonnes premières entreprises qui ont pu faire une bonne ligne dans le CV et lancer la carrière plutôt que des entreprises qui ont eu un imprévu qui les a mis en grande difficulté, c’est en grande partie de la chance, pas du mérite.
Tomber avec un bon manager et des collègues qui forment, vous repèrent, vous font grandir plutôt que vous enfoncer ou vous faire partir en burn out, c’est en grande partie de la chance et pas du mérite.
Avoir pu travailler correctement au calme ou/et sans souffrir de chez soi pendant les isolements covid c’est en grande partie de la chance et pas du mérite.
Ne pas être tombé gravement malade, ne pas avoir eu de cancer, ne pas tomber enceinte malgré les moyens de contraception, ne pas de casser la colonne en montant l’escalier ou ne pas subir un accident de la route qui nous paralyse, c’est clairement de la chance et pas du mérite.
Avoir une belle gueule qui facilite les relations plutôt qu’un visage déformé ou maculé de traces d’acné qui ne veulent pas partir c’est en grande partie de la chance et pas du mérite.
[…]
On pourrait continuer comme ça pendant encore des heures.
Vous auriez pu saborder beaucoup de choses si vous n’aviez pas fait d’effort. Personne n’en doute. Probablement même que vous n’avez pas eu toutes les chances listées plus haut.
Il ne s’agit pas de nier vos efforts ou vos difficultés.
Maintenant de là à ranger derrière le mérite votre bon poste, vos compétences pointues et votre diplôme uniquement parce que vous avez travaillé pour ça…
Peut-être qu’il faudrait redéfinir ce qu’on appelle mérite. Aujourd’hui le critère premier de réussite et de valorisation sociale, c’est la chance.
Bien entendu, je fais des généralités, merci d’éviter les « moi je », surtout si vous cochez une majorité des chances listées plus haut.
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