Je me souviens qu’il y a quelques années on m’a parlé du Joel Test pour qualifier une entreprise tech qui recrute des ingénieurs. En rédigeant ce billet on m’a donné aussi le lien vers une grille de compétences pour les entreprises tech.
C’est intéressant mais je me rends compte que je m’attache beaucoup plus aux valeurs et à l’organisation générale. Le reste en découle, ou pourra être changé si les critères de plus haut niveau sont au vert. Inversement, je ne me sentirai pas bien sans ces critères de haut niveau même si les outils techniques sont bons.
J’ai tenté, la liste va bouger, mais voici 10 de mes critères principaux pour juger d’une entreprise qui recrute des tech :
1. Le meilleur matériel et les meilleurs logiciels qui me sont utiles pour mon travail. Ça représente probablement au moins dans les 200 € mensuels en abonnements et amortissements, et une autonomie budgétaire locale jusqu’à un certain niveau.
2. Des locaux qui permettent de travailler efficacement. On parle de liaisons de transport en commun, d’abris fermés pour les vélos, de capacité à y manger et de commerces autour.
Évidemment ça veut dire des bureaux de taille raisonnable, non inutilement bruyants, qui ne mélangent pas des équipes différentes, des projets différents, des gens qui ne travaillent pas « ensemble sur la même chose là maintenant ».
Ajoutez-y des espaces de repos, ainsi que des pièces supplémentaires en nombre suffisant pour des réunions ad hoc, des visio ou coups de téléphone impromptus, et des discussions à deux ou trois.
Pour ceux qui sont en télétravail choisi c’est forcément déjà à moitié rempli mais vous pouvez ajouter le fait que l’employeur vous aide à avoir de bonnes conditions (chaise, casque anti-bruit, indemnisation correcte du coût d’une pièce dédiée, possibilité d’aller dans un espace de co-working adapté, rencontres fréquentes avec les collègues, temps possibles pour discuter, etc.).
3. Du temps et des moyens de formation continue, même dans les années « avec des objectifs de production importants » (spoiler: on est toujours dans ces années là, je n’ai jamais connu d’année où la direction dise « cette année on va pouvoir se reposer un peu »). Ça veut dire une culture qui promeut la veille technique, la présence aux conférences techniques, voire des formations externes de temps en temps, le tout sur au moins 5 % du temps en moyenne.
Plus globalement, l’organisation tient à faire progresser les gens dans leur propre plan de carrière.
4. Une organisation du travail flexible avec une large dose de confiance et d’autonomie tant que les résultats sont là et que ça reste compatible avec le collectif, notamment sur les horaires, le télétravail ou la prise de congés. Il y a des métiers dont le résultat est essentiellement dépendant du temps de présence. Ce n’est pas le cas de la plupart des travaux intellectuels, et pas le cas du mien.
5. Une chaîne de management dédiée à donner les moyens, apporter de l’aide, et globalement mettre en capacité plutôt que pour décider, faire exécuter et contrôler.
Ce n’est pas qu’une question de confiance, c’est une façon de penser les rôles de chacun. Si vous avez l’impression que les conditions et l’écoute sont proportionnels au niveau hiérarchique, on n’y est probablement pas.
6. Des équipes autonomes sur leurs objectifs, leurs organisations, l’utilisation de leur budget, mais aussi leurs choix techniques, leur stratégie produit, et globalement quoi faire quand et comment. Des responsables plus que des exécutants.
7. Une grille de rémunération transparente, qui permet de savoir comment on se positionne par rapport aux autres, quels sont les écarts entre les différents rôles, expertises et expériences.
8. Des valeurs qui font passer l’humain en priorité avant le reste. Ce critère ne doit pas s’effacer lors des périodes difficiles, c’est justement quand il y a tension et besoin de faire des choix tous mauvais qu’on voit ce qui compte vraiment. Ça se voit au niveau des arbitrages, des priorités, et à la sécurité psychologique des employés.
9. Une recherche d’éthique et d’impact social positif. Pas de « c’est le business ». Refuser d’être toxique ou négatif pour les clients, pour les fournisseurs, pour les salariés, et globalement aussi pour le reste de la société. Ça passe aussi par des standards moraux plus individuels de ne pas tromper, pas mentir, pas cacher, pas faire de mal, faire ce qu’on dit et dire ce qu’on fait, que ce soit en interne ou en externe. Enfin, ça passe par une attention particulière à l’inclusion de chacun, dont une réflexion sur les minorités et les biais sociaux.
Les valeurs et les priorités se mesurent là aussi particulièrement quand faire le bien « coûte » quelque chose et que le choix ne va pas de soi.
10. Une vision de l’agilité qui passe par une façon d’aborder les choses plus que les rituels et l’application d’une méthode. Réfléchir à la prochaine étape réaliste à partir de la situation actuelle plutôt que de savoir où on en est par rapport au plan prévu.
11. Être fier·e ou enthousiaste de où on travaille, à quoi on travaille collectivement, comment on y travaille, et avec qui. Le critère est forcément subjectif mais l’idée est de placer la barre haute, notamment en termes d’utilité sociale.
J’ai tenté de noter mes postes précédents avec cette grille de 0 à 33, en attribuant de 0 (il y a peut être des choses mais c’est vraiment insuffisant) à 3 (pas forcément parfait mais il n’y a globalement rien à redire). Volontairement il n’y a pas de case « neutre », pour forcer à choisir quand même.
Ce n’est pas toujours ce qu’on croit qui arrive en premier. L’essentiel arrive entre 15 et 20. Les hauts scores ne sont pas toujours où on les attend. Souvent le score à la dernière question masque une forte pauvreté à d’autres, et rétrospectivement c’est même justifié ainsi dans les discours.
J’y suis resté trop peu de temps donc peut-être que je n’ai pas eu le temps de crever quelques illusions mais l’OCTO d’il y a 10 ans s’en sort particulièrement bien.
Retour sur le passé, cette grille montre aussi très bien ce que j’ai mal vécu dans la start-up que j’ai cofondé. Avoir un rôle de direction n’a aucun sens si on n’a aucune liberté d’action sur l’organisation, et c’est encore pire quand en plus il y a conflit de valeurs.
Note : Mes notes sont forcément liées à mon contexte personnel (donc mon propre encadrement, mes libertés). Il ne s’agit pas de jugements absolus sur les sociétés elles-mêmes, et j’espère par exemple que j’ai contribué à donner de meilleures conditions aux personnes que j’ai moi-même encadrées.
Et vous ? Tentez l’exercice. Où situez-vous votre entreprise actuelle et les précédentes ? Je vous ai fait un petit formulaire par curiosité pour les résultats.
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