Petit rappel que même ce qui vous semble évident socialement ne l’est pas forcément pour d’autres (moi inclus).
L’implicite et l’explicite, les conventions sociales, la façon d’être, les interactions, c’est parfois bien plus complexe qu’il n’y parait.
https://twitter.com/edasfr/status/1150074744202510337
Je suis incapable de comprendre l’implicite et l’usage. Je n’ai pas honte de parler de handicap à ce niveau.
Le « mais Éric, on en a parlé pendant dix minutes ! » n’a aucun sens pour moi. Je sais, ça le fait à tout le monde mais moi c’est tout le temps, sur tout. Oui on a dit qu’on allait à la gare, mais on a aussi dit le contraire. Tout le monde a compris dans la discussion que finalement on allait à la gare. Moi pas.
Vous allez me dire qu’il me suffit de demander. En réalité c’est plus complexe que ça. Est-ce qu’on va à la gare ? Comment ? Avec qui est-ce que je pars en voiture ? Et les bagages on mutualise ou c’est chacun dans son coffre ? Et quelle taille de bagages d’ailleurs pour ce type de trajet ? Faut-il que j’y mette une serviette ? De toutes façons je ne sais pas avec qui je pars ; est-ce qu’il faut que je demande qui veut de moi ? Celui qui a prévu de m’embarquer va le prendre mal si je cherche quelqu’un d’autre, et puis je vais être ridicule parce que si ça se trouve on ne part pas.
Vous n’imaginez pas un seul instant.
Sur les relations sociales c’est encore pire. J’envie les enfants en maternelle qui osent dire « est-ce que tu es mon ami ? ».
Je ne sais pas me positionner. Je ne sais pas comment réagir. Je ne sais pas ce qui est acceptable ou non. Je fais une faute grossière une fois sur deux, voire plus. Oui, ça le fait à tout le monde mais moi c’est tout le temps, sur tout, même avec des amis vieux de dix ans.
Ou pas d’ailleurs : Je ne sais pas si eux me considèrent comme un ami, d’autant que j’ai toujours l’impression d’être à côté. Dois-je donner des nouvelles ou est-ce que cela sera inopportun ? et pour y dire quoi ? ça fait égocentrique quand même… mais en même temps ils commencent probablement à en avoir marre que je ne demande que si « ça va », sans savoir quoi dire d’autre. Du coup autant ne rien dire, non ? Sauf que si je ne dis rien je vais passer pour un rustre, ou simplement m’éloigner pas à pas. En même temps tout ça se base sur l’idée que j’ai une relation d’amitié forte alors que ce n’est pas forcément partagé.
Vous m’avez déjà entendu dire « s’il te plait, dit ce que tu penses, explicitement, franchement sans peur de blesser ou d’être nunuche, parce que je ne serai pas capable de les percevoir autrement ».
Sérieusement, faites-le.
Faites-le. Ça m’aide sur le moment, beaucoup, même si ça ne résout pas tout.
Si vous êtes explicite une fois, dois-je alors interpréter ce que vous ne dites pas comme quelque chose d’inexistant ou de forcément faux ? Vous ne m’avez pas remercié fortement et explicitement alors peut-être que vous ne voulez pas venir boire un verre finalement, vous n’acceptez peut-être que par obligation. Pourtant vous n’avez pas non plus dit explicitement que vous ne souhaitez pas venir. Me voilà coincé et c’est toujours, tout le temps. Même en cherchant à être explicite vous laissez 99% dans l’implicite, parce que c’est évident pour vous via le contexte ou l’usage social.
Je sais que ces 99% me sont cachés alors je tente d’interpréter, de surinterpréter, de chercher des signaux ou de les provoquer. Vous les voyez les « ça va ? », « es-tu sûr·e ? » ? Oui il y a des tics mais c’est plus que ça, bien plus que ça.
Je n’ai pas l’usage, je ne connais pas la limite sociale. Je suis capable d’être enfermé et de ne rien oser, terrifié à l’idée de gêner et de passer une limite qui m’est totalement invisible. Et en même temps parfois c’est le contraire, faute de savoir, et parce que parfois rester en retrait serait aussi une faute sociale. Je tente de lire, d’interpréter, et souvent je me trompe.
N’y voyez pas d’aisance, c’est tout le contraire.
Ma malédiction c’est d’ailleurs parfois de sembler avoir des facilités. Oui je parle en public. Oui je sais parfois m’imposer, débattre, parfois trop d’ailleurs. Oui j’adore l’humour à tiroirs, le second degré et le sarcasme. Je suis juste incapable de le détecter chez les autres.
Parfois je donne l’impression d’une grande aisance mais ça me demande un effort gigantesque en interne. Je m’épuise en réalité sur une simple conversation de machine à café. Vous jugez le résultat d’un travail de 15 ans sur moi-même. Vous jugez un expert à être quelqu’un d’autre, celui qu’on oublie et qu’on ne voit pas.
Parfois certains points sont effectivement relativement simples pour moi mais n’en tirez pas de conclusion pour autant. Chacun a ses propres difficultés et les miennes ne viennent pas forcément dans le même ordre que les vôtres. J’ai bien plus de difficultés dans une conversation amicale qu’à soutenir un débat public complexe avec plusieurs centaines de personnes. L’enjeu n’est pas le même, c’est moins personnel, plus objectif. J’ai moins besoin de lire les autres et les conventions à respecter sont beaucoup plus formelles.
Je n’ai pas la solution à tout ça.
Je ne peux pas reporter mes difficultés sur vous. Quand bien même vous le voudriez, je ne saurais pas quoi vous demander.
Je n’ai que deux choses :
- Ne jugez pas les intentions et réactions des autres au regard de ce qui vous semble évident, implicite ou explicite.
- Ne jugez pas ces intentions et réactions au regard de ce qui vous semble difficile ou facile à vous.
Excusez les autres, expliquez, soyez patients, gardez votre empathie, demandez, même quand votre interlocuteur semble faire une faute grave et évidente à vos yeux. Peut-être peine-t-il plus que vous ne l’imaginez, malgré toutes les bonnes intentions du monde. Ne jugez pas sans connaitre la personne et… soyez explicites.
Laisser un commentaire