Bonjour,

Je peux comprendre cette réticence à ouvrir les vanne du partage, même limité à un cadre non-marchand.

Le problème, c’est que les vannes en réalité sont déjà ouvertes : le partage massif est une réalité qu’on ne peux contester. L’alternative à la légalisation est la répression et l’effet de la répression est d’avoir fait migrer un partage qui à l’origine était non-marchand (P2P) vers des formes d’accès marchand (streaming, direct download).

Le droit agit comme une sorte de voile qui déforme la réalité : on croit que parce que c’est illégal, les pratiques n’existent pas. Mais c’est faux : le partage est là, massif http://www.numerama.com/magazine/27044-il-y-a-432-millions-de-pirates-dans-le-monde-selon-un-rapport-pour-nbc.html

Or dans les faits, que constate-t-on : que malgré le partage (et peut-être même faudrait-il remplacer « malgré » par « grâce »…) le niveau de consommation global des biens culturels s’est maintenu, voire même a augmenté. C’est clairement ce qui ressort des études indépendantes : http://www.lexpress.fr/culture/non-le-piratage-ne-tue-pas-les-industries-creatives_1288070.html

Et même le Forum d’Avignon vient de publier une nouvelle étude qui montre que la croissance est de retour pour les industries culturelles, tirée notamment par le numérique http://meta-media.fr/2013/11/24/culture-et-numerique-les-modeles-economiques-commencent-a-se-stabiliser-etude.html

La Hadopi avait déjà montré que ceux qui piratent le plus ont aussi le niveau le plus élevé de consommation légale des biens culturels : http://piracy.americanassembly.org/hadopi-says-lets-try-cutting-off-nose-to-spite-face/

Tu parles de spéculation, mais je suis désolé : c’est la peur du partage qui est du côté de l’irrationnel. Les chiffres sont là et il faut regarder par-delà le voile que le droit nous impose.

Je pense que tu as dû voire passer les révélations qui ont été faites sur le contenu des accords TPP, qui sont en fait une sorte d’ACTA en version beaucoup plus grave : http://www.framablog.org/index.php/post/2013/11/14/tpp-wikileaks-acta

Régression du domaine public par allongement des droits, restriction des exceptions au droit d’auteur, peines encore plus agressives contre la contrefaçon, responsabilisation des intermédiaires techniques, etc, etc….

Voilà le coût de la répression du partage : le but premier de la légalisation est de mettre fin à cette spirale répressive et personnellement, c’est ce qui me fait peur, car un jour ou l’autre, l’une de ces horreurs finira par passer et nous pourrons simplement pleurer sur l’internet que nous avons connu…

Après sur la piste de légalisation du partage limitée que tu suggères, elle n’est pas complètement impossible à envisager. J’avais essayé de montrer qu’on pourrait transformer la notion de cercle de famille en « cercle de proximité » qui permettrait de créer un compromis entre la légalisation du partage public et la situation bloquée actuelle http://scinfolex.com/2013/04/23/vers-une-redefinition-du-cercle-de-famille-en-faveur-du-partage-des-oeuvres-sur-internet/

Mais pour moi, cela ne résistera pas. Les faits sont têtus : le partage existe déjà bien au-delà du cercle de proximité. Faire régresser les pratiques demandera de déployer un niveau de violence légale qui n’est pas soutenable.

Pour terminer, tu dis « À très court terme autoriser le partage non marchand c’est tuer totalement la filière commerciale à destination des particuliers. »

Si c’était vrai, alors ce serait déjà le cas. Plus aucune offre légale ne pourrait exister. Or les études économiques prouvent que ce n’est pas le cas et même que la croissance est revenue dans le secteur culturel.

Pour moi l’enjeu est plutôt de bien définir le périmètre du partage non-marchand et ce n’est pas une tache facile. Philippe Aigrain a beaucoup travaillé cette question et il prône une définition stricte que je partage : http://paigrain.debatpublic.net/?p=4203

La répression n’a tout simplement plus de justification économique. Même la Hadopi le reconnaît, puisqu’elle vient d’affirmer que le partage non-marchand n’a pas à être compensé : http://scinfolex.com/2013/11/22/le-partage-non-marchand-ne-doit-pas-faire-lobjet-dune-compensation-et-cest-la-hadopi-qui-le-dit/

Pour avancer sur ces sujets, il est temps de déconstruire ces idées fausses sur le fonctionnement de l’économie numérique, surtout qu’elles sont très largement le fruit du « bourrage de crâne » déployé depuis des années par le lobby des industries culturelles.