Je n’aime pas la polarisation autour du télétravail.
C’est facile de se moquer et de traiter d’idiots tous ceux qui ne lâchent pas toutes les vannes. La réalité est, comme toujours, bien plus complexe.
Il y a des sociétés qui ne veulent pas de télétravail autrement que ponctuel, et c’est tout à fait respectable.
Parfois c’est juste un choix. Certains préfèrent sortir le soir avec les collègues, faire des jeux de société, ou être sur place ensemble. Ça ne dit pas que le télétravail est mal, juste tout le monde ne souhaite pas vivre ainsi.
Vouloir compléter une équipe hors du télétravail n’est pas plus illégitime que compléter une équipe en télétravail.
Parfois les entreprises ne savent simplement pas encore tout, et en ont conscience. Passer du présentiel au télétravail c’est quand même une sacré révolution.
Elles peuvent préférer y aller par étapes, se confronter aux problèmes au fur et à mesure avec un impact limité.
Il y a la stratégie de commencer par du télétravail partiel et celle de limiter le télétravail total à certains salariés plus autonomes, voire qui ont déjà une première expérience dans une entreprise précédente.
J’ai parfois dit à des candidats « ici le télétravail on connait déjà, ce n’est pas improvisé », parce qu’ils prennent bien moins de risques ainsi. Ça ne m’étonne pas que des entreprises aient la même politique dans l’autre sens, et préfèrent commencer avec des salariés qui savent déjà.
Vous pouvez penser que c’est de la défiance, j’y vois de la sagesse. Celles qui me font peur sont plutôt celles qui se lancent sans savoir, sans réfléchir, sans comprendre. Ce sont ces dernières qu’il faut éviter de rejoindre.
Il ne suffit pas de dire « ok, à partir de demain on fait du télétravail ». Ce serait aussi simpliste que dangereux.
Du point de vue de l’entreprise on parle de risques psychosociaux. Comment évite-t-on que quelqu’un ressente de l’isolement ? Comment évite-t-on qu’il se mette de lui-même la pression ? Comment l’aide-t-on à gérer la séparation pro-perso quand il travaille de chez lui ? Comment détecter les prémisses d’un burn-out ?
Comment communiquer dans cette nouvelle organisation ? Avec quel outil ? quelles pratiques ? Quelle gestion des notifications ? Comment sait-on à quel moment on peut interagir avec une personne et à quel moment on risque d’empiéter sur sa vie perso quand on ne peut plus se baser sur la présence au bureau ?
Comment former les managers à une nouvelle approche et de nouveaux réflexes ? Comment gère-t-on la relation avec son manager en visio et par écrit ? Comment faciliter l’intégration des nouveaux ? L’organisation est-elle identique pour les salariés autonomes et ceux qui font de l’exécution ? La culture informatique est-elle suffisante dans tous les départements ? Comment les départements basés sur l’émulation locale vont-il changer de culture ? Comment évite-t-on de tout faire exploser si certains groupes n’avancent pas vers le télétravail à la même vitesse et génèrent des jalousies ou des frustrations ?
Comment assurer une installation correcte au salarié ? Faut-il financer écran, fauteuil et bureau ? si oui comment ? avec quelle politique d’utilisation personnelle vu que le salarié ne voudra pas forcément tout dupliquer chez lui ? quelle politique si c’est une utilisation personnelle qui casse quelque chose ? Faut-il imposer un débit de connexion minimum ? une pièce séparée des enfants le mercredi après-midi ? Faut-il financer des espaces de coworking ?
Comment gère-t-on les rencontres une fois de temps en temps dans l’année ? Avec quel budget pour les déplacements ? Faut-il pour cela imposer un temps de trajet maximum pour faciliter ces déplacements ?
Administrativement, se limite-t-on à la France ? Sinon quelles sont les règles et les impacts ? Un français peut-il télétravailler ponctuellement depuis ailleurs que chez lui ? depuis l’étranger ? qu’en dit l’assurance ?
Que fait-on si un salarié vit finalement mal le télétravail ? Faut-il un bureau local pour ceux-là ? Que faire avec ceux qui ne s’adaptent pas au télétravail des autres ? Comment évite-t-on de faire des groupes étanches entre ceux en télétravail et ceux en local ? Comment est-ce qu’on qualifie l’adaptation au télétravail d’un nouveau collaborateur lors de sa période d’essai ?
Et du point de vue du salarié, comment gérer les livraisons de colis qui interrompent une réunion importante ? Comment gérer l’enfant qui pleure ou qui sollicite sur les horaires de travail ? Faut-il d’ailleurs imposer quelques heures de présence communes ou être plus souple ? Que fait-on si la connexion saute ? Sait-il régler son débit pour éviter que l’adolescent à côté ne prenne toute la bande passante ?
Honnêtement il y a des réponses à tout ça. Il ne s’agit pas de dire que ce sont des problèmes bloquants ou que le télétravail est fondamentalement plus problématique que la présence.
Ce sont par contre des enjeux qui ne s’ignorent pas, ou qui ne devraient pas s’ignorer dans la transition.
Malheureusement ça ne s’invente pas forcément. Une partie des réponses dépend de choix très subjectifs et on ne peut ni ne doit se contenter de suivre un livre ou un consultant.
Bref, critiquer les entreprises qui ne font pas leur révolution en un claquement de doigts c’est espérer que ces entreprises jouent aux apprentis sorciers.
S’il y a des entreprises à éviter ce ne sont pas celles qui y vont avec prudence mais réelle ouverture, ce sont celles qui y vont sans réfléchir, avec un big bang naïf.
Ça peut très bien se passer et tomber en marche sans trop y penser, surtout dans une petite structure, mais ça peut aussi merder gravement avec des conséquences irréparables autant pour l’entreprise que pour les salariés. Les entreprises recommandables chercheront à anticiper un peu.
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