Je continue mes réflexions sur comment nous, informaticiens, participons à la politique par nos actions.
Il ne tient qu’à nous de refuser de participer à des projets et des organisations du mauvais côté de la ligne morale. Contrairement à d’autres professions, nous avons le choix. Utilisons-le.
Plus que le choix, nous avons un pouvoir, énorme. C’est un des apprentissages des logiciels libres. Nous avons quand même réussi que les plus grandes corporations se sentent obligées de contribuer, même de façon mineure, à des logiciels communs profitant à tous. Nous avons réussi à en faire un argument dans les processus de recrutement.
Imaginez, le temple du capitalisme, les méga startup techno qui contrôlent jusque notre vie privée, obligées de fait de se plier à contribuer au domaine commun. Quel pouvoir !
Nous avons utilisé ce pouvoir pour imposer le libre accès au logiciel et au code source, en nous moquant de qui l’utilise et pour faire quoi, comme si cela ne nous concernait pas.
Que nous importe que l’imprimante gère des listes de personnes à abattre tant que nous avons accès au code source du pilote pour en corriger les défauts. Je ne peux m’exonérer des conséquences de ce que je créé et de ce que je diffuse.
Avec tout le respect que j’ai pour l’énorme œuvre du logiciel libre, j’ai l’impression que nous avons partiellement fait fausse route, privilégiant une vision libertaire amorale plutôt qu’assumer les conséquences de ce que nous créons.
Pire, en faisant le logiciel libre comme l’alpha et l’oméga de toute notion politique et éthique dans le logiciel, nous nous sommes retirés toute capacité à intervenir sur d’autre critères.
Je repense à la licence JSON qui avait fait grand bruit par le passé.
The Software shall be used for Good, not Evil.
https://www.json.org/license.html
Cette notion m’attire, aussi floue et aussi problématique soit-elle.
Oui, cette licence n’est pas libre. La licence GPL serait incompatible avec icelle. Qu’importe : L’accès au logiciel et à son code source ne me semble pas une valeur si absolue qu’il me faille abandonner tout recul sur ce qui est fait avec le logiciel.
Je ne suis pas seul, en parallèle d’autres ont mis à jour la licence Hippocratic, qui va globalement dans le même sens.
The software may not be used by individuals, corporations, governments, or other groups for systems or activities that actively and knowingly endanger, harm, or otherwise threaten the physical, mental, economic, or general well-being of individuals or groups in violation of the United Nations Universal Declaration of Human Rights
https://firstdonoharm.dev/version/1/1/license.html
J’ajouterais probablement la convention de Genève, celle des droits de l’enfant, peut-être un texte de portée similaire parlant d’écologie (lequel ?), un lié à la vie privée, etc.
Ça reste flou mais ça permet de tout de même donner un cadre, surtout si on ajoute que l’interprétation à donner à ces textes ne doit pas être moins stricte que celle de l’Europe occidentale de notre décennie.
Peu importe en réalité. Il s’agit de donner une intention. Je n’ai pas cette prétention mais si l’armée ou une corporation sans éthique veut réutiliser mon code, ce n’est pas la licence qui les en empêchera, flou ou pas.
Je ne prétends certainement pas aller devant au tribunal. Ma seule arme est l’opprobre publique et le flou n’est ici pas un problème. La précision juridique n’est pas un besoin. Au contraire, rester au niveau de l’intention permet d’éviter les pirouettes en jouant sur les mots ou en trouvant les failles. Quelque part la formulation de la licence JSON a ma préférence, justement pour ça.
Ça vous parait fou, irréaliste, inapplicable, mais combien d’entre nous auraient trouvés la GPL raisonnable, réaliste et applicable à ses débuts ? Les débats n’ont d’ailleurs pas manqué.
Le seul vrai problème, à mon niveau, est bien celui du logiciel libre, et plus particulièrement de la GPL, incompatible avec toute autre licence qui fait des choix différents. Or la GPL est incontournable dans de nombreuses situations, dans de nombreux contextes.
Une solution pourrait être de proposer une double licence : une licence basée sur l’éthique, tout en prévoyant une exception qui permet de passer sur une AGPL au besoin.
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