« Le Sénat adhère à l’Open Data » vois-je dans mes fils d’information.
Le Sénat a décidé de publier les résultats des futures élections sénatoriales en temps réel, sous un format ouvert documenté, à tous, sur son site Internet. Je ne peux que m’en féliciter et si je retiens un « il était temps » c’est pour éviter d’y mêler le négatif d’une frustration. Le pas était nécessaire, utile, et bienvenu.
Merci de l’effort, il est apprécié à sa juste valeur
J’ajouterai même que je suis agréablement surpris par la volonté de publier ces résultats en temps réel, actualisés toutes les cinq minutes. Là on sort du besoin pour proposer de l’innovation ou en tous cas de la valeur ajoutée.
Mieux encore, ils ont réussi à convaincre la bureaucratie pour accepter les réutilisations non-commerciales comme les réutilisations commerciales, alors que ces dernières sont très souvent exclues ou payantes. Ils ont aussi réussi l’exploit d’autoriser les traitements, manipulations, extractions, création de données dérivées et même la diffusion de ces dernières. Si ça vous paraît évident et indispensable, sachez que nous en sommes rarement là habituellement.
Un risque sur le long terme
Maintenant, pour revenir à mon pessimiste habituel, notre administration n’oublie pas ses travers et j’ai peur qu’à force de vouloir jouer les compromis, le pas qui a été fait ne puisse se révéler négatif sur le long terme.
Il faut rentrer dans la licence d’utilisation des contenus pour voir le problème.
Une clause de publicité
Tout d’abord on récupère la clause tant honnie des premières licences BSD : Il faut mentionner explicitement la source et la date de mise à jour des données. Certes, c’est une bonne pratique, mais c’est aussi vite contraignant là où ce n’est pas pertinent.
La licence me propose un paragraphe qui tient en trois lignes. Si je croise quatre ou cinq données avec une licence similaire dans mon tableau, il faut que je commence à réserver une demie page uniquement pour ces mentions. Rien de grave mais ça commence à agacer.
« Application, Produit ou Service intégrant les données électorales issues du dernier renouvellement sénatorial et publiées sur le site du Sénat (www.senat.fr). Dernière mise à jour le 25 septembre 2011 ».
Pour un contenu original, une création artistique ou d’opinion, l’attribution a un sens et un rôle particulier, mais pour des données objectives propres à notre institution publique, quel est le sens de cette attribution ? son rôle ?
C’est d’autant plus gênant que la licence est explicitement transmissible. Elle doit s’appliquer à toute base de données dérivée et pas qu’aux données sources. Si en soi ce « copyleft » est légitime, il prend toute son importance quand on mélange plusieurs données.
En effet, cette simple clause de publicité casse déjà la compatibilité avec toutes les licences dites « libres ». Ces dernières empêchent d’ajouter des restrictions à l’usage ou la distribution. Des données publiques qui ne peuvent être réutilisées mixer à des contenus ou logiciels libres, c’est juste dommage.
Une clause floue de terminaison
Ce qui me rend très pessimiste ce sont les clauses 7 et 8. Elles contiennent des exclusions bienvenues sur la capacité du Sénat à changer son format, arrêter ou modifier ses publications futures, mais elles contiennent aussi la capacité de modifier les conditions de la présente licence.
La formulation ne permet pas de savoir si le Sénat se réserve le droit de publier les données dans une licence différente dans le futur, sans impacter les droits déjà données (ce qui ne pose aucun problème) ou s’il se permet de modifier les conditions de la licence actuelle, et donc potentiellement terminer les utilisations actuelles ou d’en modifier les conditions.
Nombre de licences ont une telle clause de terminaison, permettant au détenteur des droits de finalement revenir sur la licence gratuite offerte jusqu’alors, ou d’en changer les termes. Ce serait pour moi l’écueil principal de cette licence.
Peut-être ai-je mal interprété ces clauses 7 et 8, mais dans ce cas une reformulation pour lever l’ambiguïté me semble indispensable.
Une licence est-elle indispensable ?
Et finalement, c’est tout le principe de licence de réutilisation qui me semble contestable ici. On m’a répondu que bien entendu sans licence le droit s’applique et personne n’a aucun droit sur les contenus. Je me permets d’être en désaccord.
En France les documents administratifs de l’État, des collectivités territoriales, des services publics, et des établissements publics sont publics de par la loi. Tous les citoyens doivent y avoir accès et nous avons même créé une commission spécifique pour garantir cet accès, la CADA. Il est je pense évident à tous que des résultats d’élection ne peuvent de toutes façons être que publics et publiables dans une démocratie correcte.
De quel droit ?
C’est d’autant plus vrai ici qu’il n’y a aucune création originale ni aucun travail intellectuel spécifique. Il s’agit de reprendre des données objectives et brutes dont même la collecté n’a rien d’une intention intellectuelle particulière. Je ne vois aucun droit d’auteur permettant d’établir une licence particulière. Cela pourrait se discuter pour des statistiques de l’INSEE où il y a un choix de recoupement, un travail spécifique de collecte et d’analyse, mais pas ici.
Reste le droit des bases de données, l’interdiction à un tiers de récupérer de façon automatisée ou d’extraire une portion significative des contenus d’une base de données. Du fait de la publicité obligatoire des données, il me semble difficile de jouer sur ce point. Dans tous les cas cela ne s’appliquerait qu’à ceux qui collectent un ensemble de données et pas les résultats d’une élection particulière.
Est-ce même conciliable avec une démocratie ?
Finalement, quel est le droit de l’état d’imposer une licence pour l’utilisation des résultats d’élection ? Est-ce vraiment souhaitable pour ce type de données dans une démocratie ? Si vraiment il fallait une licence, une WTFPL aurait été plus adapté à ce cas.
Quand on commence à définir qui a le droit et sous quelles conditions d’utiliser, manipuler ou publier les résultats d’une élection, on commence à toucher les limites de ce qui est acceptable en démocratie.
Oui, j’emploie des grands mots dans des grandes phrases mais sinon, à force de toucher au principes de base, on finit par les oublier.
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