L’argumentaire pro-IVG illustré par la photo se défend très bien, mais à une condition : adopter un point de vue libéral. Ça ne me semble pas absurde d’affirmer que toute femme est souverainement maîtresse de son corps et qu’elle dispose d’un droit de propriété individuel et inaliénable quant à son fonctionnement.
Oui, cette position nécessite elle aussi de considérer que le fœtus n’est pas une personne à part entière avant la naissance, mais simplement une extension du corps de la mère. Mais ça reste un argument tout à fait légitime face à un législateur quasi-exclusivement masculin qui veut réguler l’intime au nom d’une conception assez abstraite de « la vie » : ne s’agirait-il d’un contrôle très autoritaire de l’individu avant tout, et d’une forme de domination ? Faire primer des droits individuels sur l’arbitraire politique, d’un point de vue libéral, ça se défend.

Ce qui me gêne davantage, c’est que cette interprétation libérale n’est absolument pas assumée par les féministes qui l’emploient. C’est un argument philosophique important, qui pourrait être revendiqué ; libéral n’est pas un gros mot. Mais quelle force peut-on lui accorder si on ne décrit pas la logique dans laquelle il se place ? Ni la France ni l’Espagne n’ont de systèmes juridiques particulièrement libéraux, et à longueur de journée, on légifère sur l’individuel en utilisant des principes supérieurs et abstraits. La laïcité prime sur la liberté religieuse (Baby-Loup), la dignité humaine sur la liberté d’expression (Dieudonné), et bien sûr, c’est une conception du droit qui se défend elle aussi. Mais dans un tel contexte, qui prendra au sérieux l’argument « mon utérus, ma décision » ? Personne, à moins de se revendiquer libéral et d’affirmer le primat de l’individu dans la société. L’employer de manière opportuniste sans en saisir la logique est voué à l’échec.

Je ne suis pas dupe non plus : à bien des égards, les féministes ont des comptes à régler avec les libéraux. Outre le sujet conflictuel de la liberté d’expression, tant de libéraux(-conservateurs) nient les inégalités salariales et sont effrayés par la notion de genre que voir un rapprochement semble pour le moins utopique. Mais sur certains sujets comme le voile pour les féministes intersectionnelles, ou la prostitution pour le STRASS, une logique libérale et progressiste se défendrait très bien.