Je suis là pour une réunion d’information pour devenir livreur à vélo chez Frichti, la nouvelle start-up de livraison de repas sur Paris
Livreur à vélo, l’exploitation à la cool
Je peux me dire que je choisis les sociétés pour lesquelles je travaille précautionneusement mais est-ce vraiment le cas ? À jouer les équilibristes entre le social et la rentabilité économique, parfois on se justifie un peu tout derrière de belles intentions.
À La Ruche je sais que l’ensemble des salariés comme le DG cherchaient à bien faire et tenaient à la dimension sociale et solidaire. Contrairement à ce que j’ai parfois entendu comme critique, ce n’était pas qu’un paravent. Je ne sais pas si j’ai le droit d’en parler mais quand il y a eu des événements compliqués la priorités à été d’aider les producteurs ou responsables locaux.
Malgré tout, quelque part, il y a ceux qui survivent et ceux qui vivent.
On se rassure en se disant que l’ensemble ne pourrait pas fonctionner sans attirer les joyeux développeurs, responsables, et autres salariés intellectuels en leur offrant un vrai salaire proche des prix du marchés. C’est probablement vrai mais à quel point est-ce justifiable pour autant ?
Si c’est sous une forme différente dans chacun de mes engagements, je vois cette contradiction à chaque fois. Je souffre de ne pas y voir de solution.
Même avec des projets éthiques et des bonnes volontés, le modèle startup ne peut que participer à cette construction sociale où certains vivent de l’exploitation des autres. Moi probablement le premier malgré mes illusions.
Créer moi-même quelque chose qui change le monde ? Je veux bien mais quoi ? Si c’était si simple d’autres plus intelligents et plus compétents l’auraient déjà fait avant moi.
Mon expertise est dans l’informatique, dans le web. Je parle démocratie, données personnelles, facilitation d’usages, diffusion de l’information. Je suis déjà dans un monde de privilégiés et de sachants. Le renforcer ne peut que creuser la distance avec le reste du monde. Ne parlons même pas du fait que toute l’électronique se base sur l’exploitation écologique, économique et humaine à l’autre bout du monde.
« Avancer dans le bon sens » ce n’est finalement que mettre des œillères un chouïa moins étroites sans rien changer au fond. Je ne sais même plus s’il y a quelque chose à faire. Tout ça est vicié dès la base.
Je peux changer de métier, repartir à zéro, essayer de retirer complètement ces œillères. Je dis « je peux » mais c’est beaucoup de méthode Coué. Raisonner dans l’hypothèse est tellement confortable…
Même ainsi, je ne sais pas si ça aurait un sens. Tout ça pour arriver où et à quoi ? Je ne renverserai pas la direction de notre société, ni sur la fin des libertés, ni sur le désastre écologique, ni sur l’oppression économique. Je ne saurais pas faire semblant, oublier l’horreur de ce monde et la souffrance permanente.
Franchement je ne sais pas si j’en suis capable mais ça veut dire tout abandonner, tout renoncer. La seule chose qui me fait tenir aujourd’hui c’est assurer l’avenir de ceux qui vivent avec moi. Comment pourrais-je leur imposer ça ?
Je ne sais même pas si j’arriverais moi-même à tenir. Je ne sais même pas pour quoi, pourquoi continuer.
Il parait que la vie est belle. Moi je ne sais pas oublier le coût de tout ça. Je ne sais plus vivre avec tout ça. Je ne sais plus vivre contre tout ça, et ça devient de plus en plus dur.
Rien que ne faire que l’écrire ici et ne plus ni se croire capable ni avoir la force de plus, c’est d’un tel échec…