Chacun ses comptes

C’était en 2010. Une collègue et amie divorce. C’est malheu­reux. Ça arrive.

Le compa­gnon de l’époque est infor­ma­ti­cien et là, les ques­tions… Puis-je contac­ter mon avocate sans qu’il sache ce que je lui dis ? Il a le mot de passe du laptop, je déclare un peu la guerre si je les change, non ? Et comment faire pour savoir s’il n’y a pas un malware qui m’es­pionne ? Et le WIFI, peut-il inter­cep­ter ce que j’y fais ? Va-t-il fouiller ma boite email person­nelle pour cher­cher des anec­dotes qui lui permet­trait de contes­ter la garde de mes enfants ? il a peut-être le mot de passe, ou peut-être a-t-il une sauve­garde. Et mon télé­phone ? à l’époque le verrouillage n’était pas si commun. Et les photos de mes enfants ?

À l’époque j’avais déclaré forfait : Je suis inca­pable d’as­su­rer que son conjoint n’écoute pas les conver­sa­tions, n’a pas implanté de malware, ou de l’as­su­rer qu’il n’y arri­vera pas à l’ave­nir. Aujourd’­hui je me dis que j’au­rais pu lui propo­ser un live-cd ou une clef USB bootable. Je n’y avais pas pensé à l’époque.

On lui a conseillé de créer des comptes emails et stockage en ligne dédiés qu’elle n’uti­li­se­rait jamais depuis la maison ou depuis un appa­reil du foyer, de télé­pho­ner et de se connec­ter depuis le travail ou de chez des amis.

Guérilla à domi­cile. Elle était infor­ma­ti­cienne. Pour d’autres ça peut être encore plus diffi­cile.

Je ne sais pas si ses craintes étaient réalistes. Proba­ble­ment qu’elle non plus. Peu importe. Le stress du contexte sur le moment et la situa­tion de conflit font qu’on n’a pas besoin de lais­ser ce type de préoc­cu­pa­tions en tête en plus du reste.

Des comptes parta­gés

Cette histoire me revient après des échanges enten­dus à Paris Web à propos de l’auto-héber­ge­ment numé­rique.

Je ne me fais pas héber­ger par mon conjoint. Ça m’est déjà arrivé, c’est un nid à emmerdes.

Ce ne sont pas les mots d’ori­gine, mais ce que j’ai retenu du fond de l’in­ter­ven­tion.

Combien de couples sont partis pour toute la vie et finissent par se sépa­rer ? Les moyens de pres­sion, d’es­pion­nage ou de menaces impli­cites sont gigan­tesques. « Surtout ne pas se fâcher avec lui-elle parce que sinon il n’est pas impos­sible que… »

Même quand ça se passe rela­ti­ve­ment bien, j’ima­gine la diffi­culté de savoir qu’on est pieds et poings liés à son conjoint, dépen­dant de celui-ci ou à la merci de sa mora­lité. En cas de sépa­ra­tion c’est une belle galère.

Bref : Chacun ses comptes email, ses stockages, ses droits d’ac­cès, même pour un couple fusion­nel qui prévoit de rester côte à côte y compris au cime­tière.

C’est plus compliqué qu’un seul compte partagé, ce peut être diffi­cile à abor­der comme ques­tion, mais mieux vaut le faire quand ça se passe bien. Verrouiller son télé­phone unique­ment lors de la sépa­ra­tion c’est décla­rer la guerre alors que ça aurait pu bien se passer. Ne pas le faire c’est prendre du stress et se mettre soi-même à risque, ainsi que s refu­ser une inti­mité protec­trice au moment le plus critique.

Sépa­rer les comptes numé­riques c’est fina­le­ment une ques­tion de respect, une façon de dire « J’ai confiance en toi, je sais que juste­ment tu fais tout pour éviter de me mettre un jour dans une situa­tion déli­cate si quelque chose devait arri­ver, et je vais faire pareil pour toi. »


Et si ça vous arrive ?

Je n’ai pas su le dire à l’époque mais si jamais vous vous sépa­rez d’un infor­ma­ti­cien : Il n’y a pas d’autres choix que de deve­nir para­noïaque.

Ce n’est pas tant pré-juger que le conjoint fera quoi que ce soit de malvenu, mais simple­ment vous assu­rer votre séré­nité sur ces ques­tions et éviter tout le stress qui peut l’être. Et puis personne ne peut prédire l’ave­nir (la preuve, vous vous sépa­rez et ce n’était pas forcé­ment prévu au début de la rela­tion).

1/ (faire) Réins­tal­lez de zéro télé­phone et ordi­na­teur, à partir de CD, clef USB et ordi­na­teurs qui ne viennent pas de la maison. Chif­frer les disques (télé­phone et ordi­na­teur).

Mettez un mot de passe fort et dédié à cet usage (non, pas le même que d’ha­bi­tude avec juste une varia­tion). Acti­vez les verrouillages auto­ma­tiques après une période courte d’inac­ti­vité.

Autre possi­bi­lité : Démar­rer depuis un Live-CD non réins­crip­tible préparé par un ami et écri­vez sur le CD pour qu’on ne puisse pas le chan­ger par un autre. Stockez tout en ligne, rien en local. Ce peut aussi être fait à partir d’une clef USB mais dans ce cas il faut réus­sir à la garder avec vous jour et nuit pour que personne ne puisse en modi­fier le contenu. Ça me parait plus diffi­cile.

À défaut il y a le PC du boulot, les amis. Des smart­phones android à 50 € avec cartes data prépayées qui peuvent aussi faire parfai­te­ment l’af­faire. Bonus : Ça peut éviter de montrer publique­ment une défiance, et permettre de rester sur une sépa­ra­tion amicale.

2/ Créez-vous une boite email dédiée, sur un espace que le conjoint ne contrô­lera pas. Recréez-vous de nouveaux comptes à partir de cet email ou dépla­cez les anciens comptes person­nels vers cet email de contact (celui qui contrôle l’email prin­ci­pal peut récu­pé­rer les mots de passe de tous les comptes qui y sont liés).

Mettre un mot de passe fort et dédié à cet usage (non, pas le même que d’ha­bi­tude avec juste une varia­tion). Ne pas vous y connec­ter depuis la maison ou avec un maté­riel qui n’a pas été sécu­risé.

3/ Faire une copie dès main­te­nant des photos, des archives, des docu­ments admi­nis­tra­tifs. Stocker chez un ami, un collègue ou au boulot.

4/ Deman­dez accès aux comptes sur lesquels vous n’avez pas le mot de passe ou les iden­ti­fiants : Assu­rances, impôts, banque, sécu­rité sociale, mutuelle, …

5/ Signa­lez à l’école que vous êtes en sépa­ra­tion. Ils savent gérer et s’as­su­re­ront au mini­mum que l’un des deux ne retienne pas des infor­ma­tions.


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Commentaires

5 réponses à “Chacun ses comptes”

  1. Avatar de Elsen
    Elsen

    Ceci est d’une immense tristesse.

    1. Avatar de Éric
      Éric

      Et c’est difficile à écrire pour cette même raison, mais faire comme si ça n’existait pas n’est pas forcément mieux. Attends le billet suivant, c’est encore plus triste (mais il faut que je le fasse aussi) : https://n.survol.fr/n/que-se-passe-t-il-le-jour-ou-je-ne-suis-plus-la-bis

    2. Avatar de Thomas
      Thomas

      Bonjour,

      par rapport au billet sur le décès c’est vaguement en contradiction, ou en tout cas ça ajoute une complexité supplémentaire: gérer une zone « intime », et confier « au cas où » les clefs de tout.

      J’adhère aux 2 sujets, merci de lancer les pistes pour permettre à chacun d avoir sa propre réflexion !

      Ça va aussi dans le sens du clerc de notaire à l’époque où ma femme et moi avons acheté notre appart alors que nous n’étions, administrativement parlant, rien (pas encore mariés ni même pacsés, juste amoureux): prévoir le pire quand tout va bien ne changera rien au fait qu’il arrive ou non, et facilite grandement les choses le cas échéant…

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